Restos / Bars

Gambrinus : Un coeur de mer

Feutré, plutôt discret et bien abrité entre ses murs de vieilles pierres, ce restaurant italo-provençal vous propose une carte étourdissante de variété qu’on prend plaisir à lire et à relire, à décortiquer, à commenter.

Feutré, plutôt discret et bien abrité entre ses murs de vieilles pierres, ce restaurant italo-provençal vous propose une carte étourdissante de variété qu’on prend plaisir à lire et à relire, à décortiquer, à commenter. De loin en loin, on s’en évade quelques secondes, histoire de jeter un coup d’oeil par l’une des nombreuses fenêtres carrelées où se presse une multitude de jardinières suspendues. Dehors, il fait gris. De temps à autre, un gros autocar s’arrête presque au coin de la rue et accouche en se dandinant d’un flot de jeunes vacanciers qu’on voit s’égailler aussitôt dans toutes les directions. Mon invitée et moi commandons deux verres de vin blanc maison, à savoir un Coli Albani assez frais pour nous faire chaud au coeur. Nous n’en sommes pas à un paradoxe près. Ainsi, ce midi, c’est aux tables d’hôte du soir que nous vouons le plus d’intérêt. Il a suffi d’un nom de plat que nous avons trouvé cocasse: «concerto de fruits de mer, homard en chef d’orchestre, sonate de poisson sur chevalet de riz». Si les autres appellations ne sont pas du même cru, elles désignent par contre des apprêts qui ne courent pas les rues… ni les mers. Tels, parmi d’autres, le suprême de saumoneau à la moutarde de raisin, la carriole de volaille au fromage et porto, le filet d’empereur au beurre blanc et citronnelle, le tartare de veau et quenelles de lentilles vertes aux deux moutardes en mayonnaise, les frivolités de wapiti aux fraises… Notre embarras se voit-il tant que cela? Deux, trois fois, l’un des serveurs s’approche de notre table; à tout coup, une question l’attend – au sujet d’un potage, d’une entrée, d’un «relevé chaud» ou d’une spécialité qui nous intrigue. Nous n’avons pas l’air de résignés en revenant au menu du jour, puisque celui-ci fait quand même bonne figure avec ses «linguine al ragù» (sauce bolognaise), son omelette forestière, son filet mignon… Nous sommes servis en deux temps, trois mouvements. Mon invitée a droit à un velouté… J’ai failli dire «voluptueux», mais ce n’aurait pas été vrament une erreur. Bref, elle fait ses délices d’un velouté de carottes qui lui fige un sourire sur les lèvres. N’est-ce pas une invitation à y goûter moi aussi? Rien à redire de ce potage, sinon que j’aurais dû le choisir moi-même. Je ne renie pas ma terrine de gibier, dont j’ai déjà pris deux bouchées. Loin de là! Bonne, certes, elle aurait pu être un peu plus sauvage, toutefois – un peu plus goûteuse sans le secours de la sauce et du confit qui l’accompagnent. Je reprendrais bien un peu de potage, mais c’est un bol déjà vide que contemple mon invitée d’un oeil mélancolique. Un peu de vin, un long soupir, quelques réflexions sur le temps qu’il fait, et voilà de nouvelles assiettes qui s’amènent, délicatement saupoudrées l’une et l’autre de paprika. Deux morceaux de filet nappés d’une sauce aux deux moutardes: telle est la présentation du grenadier, poisson à chair blanche et délicate, dont nous faisons la connaissance aujourd’hui même. «C’est un plaisir…» Je le pense sans le dire, puisqu’il n’est pas d’usage qu’on parle à sa nourriture. M’ayant offert la première bouchée, mon invitée me rappelle gentiment l’existence de mes moules à la provençale. En effet, un bel amoncellement de coquillages fume doucement sous mon nez, fleurant bon les herbes et la tomate. La sauce est d’un rouge sincère qui m’émeut. Et abondante, avec ça. Nous mangeons de gaieté de gueule, si je puis dire. Je gage que je ne terminerai pas mon assiette. Je perds le pari. Après cela, je jure que je me passerai de dessert, car je me connais. Sceptique, notre serveur apporte tout de même une dernière assiette prévue pour deux – et avec deux fourchettes. Il y a là d’énormes moitiés de fraises, deux morceaux de gâteau aux bleuets, une petite salade de fruits… Alors, pour ne décevoir personne, je m’exécute. Après tout, c’est jour de fête. Je veux dire qu’aujourd’hui, ça doit bien être un jour de fête quelque part dans le monde.

Restaurant Gambrinus
15, rue du Fort
Québec (Québec)
Tél.: (418) 692-5144
Tables d’hôte: 22,95 $ à 35,95 $
Menu du jour: 9,50 $ à 14,50 $
Dîner pour deux (incluant taxes et boisson): 38,82 $