Question simplicité et convivialité dans un ravissant décor, ce Bleu Raisin est dur à battre. Dépouillé, confortable, il mêle avec naturel les matières du moment – le bois, le papier de riz, l’éclairage halogène – et l’idée consciencieuse de laisser la lumière du jour filtrer par les grandes fenêtres qui s’ouvrent sur la rue. Pas besoin d’investir des millions pour prouver qu’on a du goût.
Passant directement de la photographie à la cuisine, le jeune patron a un sacré culot et pas mal d’idées. De bonnes idées. Par exemple, celle de consacrer la carte de son bistro à une cuisine fromagère qui ne se limite pas au fromage, mais qui se contente de le faire intervenir, comme un assaisonnement ou une composante de plats plus savants. L’idée n’est pas nouvelle, surtout en Europe. Pensez à l’Alsace, aux Alpes, à l’Autriche, à la Hollande mais surtout à la Suisse, des lieux ayant traditionnellement intégré le fromage à leur cuisine nationale. Or, hasard ou conséquence, le chef est d’origine helvète. Et qui a grandi sur les pentes des alpages suisses doit forcément s’y connaître en petits caillés.
La carte séduit au premier coup d’oeil et, malgré quelques faiblesses structurales, propose un choix varié et contemporain qui va du plat de pâtes au plateau de fromages en dégustation de six choix: de la raclette à une salade au cheddar de chèvre, ou, en plat principal, aux calmars et feta, un mélange anticonformiste que nous n’avons pas eu le courage de mettre à l’épreuve. Cependant, le menu offre surtout des plats carnassiers, dont la combinaison avec les fromages (boeuf et chaource, porc et chèvre) fait dorénavant partie du répertoire.
Les amateurs seront ravis par des entrées qui mettent discrètement en scène le coagulé, par exemple un velouté de carottes crémeux dans lequel quelques morceaux de vieux cheddar s’entêtent à rester au fond du plat; ou ils se questionneront sur l’appellation «tajine» de cet amalgame de légumes de la Méditerranée – aubergines, tomates, poivrons, oignons – assaionné à la marocaine, mais dont la présence du fromage évoque davantage la chakchouka tunisienne. En tout cas, ce mélange «ratatouillant», savoureux et assez copieux pour une entrée, augure plutôt bien. Une tarte aux oignons confits, aux olives et au chaource se tourne vers le Sud, avec une pâte feuilletée croustillante, un appareil plein de saveurs qu’accompagne un petit panaché de laitues tout simple. Jusque-là, c’est soigné.
En plat, le millefeuille de veau escalopé, puis grillé, est garni de mozzarella fumé italien et de légumes printaniers un peu trop cuits: des asperges et des tomates presque compotées. Cela repose sur une sauce aux vingt épices dont le goût est bien maîtrisé. Mais on accompagne inutilement le plat de plusieurs légumes qui ne font qu’ajouter des parfums différents, ce qui porte à confusion. Même chose pour l’agneau, grillé à point, servi en côtelettes, mais noyé dans un salmigondis de produits légumiers qui nuisent à la cohérence du plat. Un peu de pudeur ne nuirait pas.
En conclusion, on revient à la modestie du départ avec une terrine au chocolat qui s’inscrit dans la mode des gâteaux fondants, mi-cuits, entre les brownies américains et le fondant de Marc Meneau. Et la tarte Tatin, une vraie, préparée selon les règles, est servie chaude et, curieusement, assez peu sucrée. La pâte toutefois est un peu ramollie par un séjour de vingt-quatre heures au frigo. Si je devais accorder un point de plus, il irait sans retenue au chaleureux patron, sympa et enthousiaste, et dont l’accueil – trop souvent négligé ailleurs – nous donne une irrésistible envie de l’inviter à notre table.
En tout cas, ce mignon bistro de quartier n’attirera pas les clients juifs, le mélange produits laitiers et viande étant interdit dans le livre de Leviticus. Mais les amoureux du fromage y trouveront leur compte; et cela, bien que l’addition s’excite un peu: 100 $ pour deux repas – copieux il est vrai -, taxes et service compris, arrosés d’une couple de verres de rouge choisis sur une carte tarifée avec lus de sagesse.
Le Bleu Raisin
5237, rue Saint-Denis
271-2333
Amuse-gueule
Ah! les régimes! On remet ça avec le tout dernier-né: ouste les Montignac et le Guide alimentaire canadien et bienvenue au Guide alimentaire anti-âge, une petite plaquette assez bien construite qui nous refait la leçon sur les protéines, les lipides, les glucides, l’exercice, la fumée et tout et tout. On poursuit ici à peu près les mêmes prescriptions que la diète méditerranéenne, avec cette différence qu’on fonctionne un peu comme l’engrais: 60-20-20. 60 % verdures, 20 % protéines et 20 % glucides – lesdits pains, pâtes et féculents honnis par Montignac.
Mis en oeuvre et soutenu par une équipe de chercheurs, ce guide présente certaines informations pertinentes et, certes, fort édifiantes. Y trouve-t-on pour autant une méthode révolutionnaire pour maigrir ou pour bien vivre? Je ne pense pas. Malgré son propos dans un jargon vaguement new age, cet ouvrage offre plusieurs pistes de réflexion, et dispense beaucoup d’information présentée sous forme de tableaux iconographiques, donc user friendly. Un ouvrage qui se lit d’un bout à l’autre en une journée, et cela, sans bâiller ni défaillir. Voilà au moins une autre bonne raison de le parcourir.