Si le poisson coûte de plus en plus cher, c’est qu’il est de plus en plus rare. Il n’y a pas si longtemps, le poisson coûtait moins cher que la viande parce qu’on ne le consommait que dans les régions côtières. Puis, pour satisfaire les goûts pour la chair maritime fraîche, l’industrie a explosé, la surpêche a raréfié les stocks et les coûts de transport ont augmenté. Aujourd’hui, le poisson est devenu l’ingrédient le plus cher du réfrigérateur. Pas surprenant donc qu’au-delà des sushis, les restaurants japonais commencent à explorer le répertoire de la nouille. Avec la mode nouvelle des nouilles orientales, il nous restait à découvrir le traitement zen que réserve le Japon à ce repas dans un bol. C’est ce que fait le tout nouveau restaurant Wakamono en nous proposant une cuisine japonaise moderne et jouissive, dans un décor réussi qu’on dirait tout droit sorti du magazine Wallpaper. Et ce qui le distingue peut-être des restaurants de la Main, à part les prix doux, ce sont l’accueil et le service faits avec le sourire, chose exceptionnelle pour un resto branché.
On présente ici une carte de sushis, déclinée en une sélection bien pensée qui vous fera explorer l’univers mort vivant des petites bêtes à nageoires et à carapace: anguille, crabe, crevette, pieuvre et l’ubiquiste thon sont à peine moribonds et, comme il se doit, d’une éclatante fraîcheur… dans le trépas. Mais l’intérêt du menu vient surtout de l’inventaire des spécialités, comme les agemono (fritures), les yakimono (grillades), les kobachimono (braisés), les nabemono (plats en cocotte) et, particulièrement, du traitement réservé aux nouilles. On les décline en quatre variétés, dont les ramen, des nouilles de blé empruntées à la tradition chinoise, servies surtout au lunch comme le révélait le film Tampopo. Les puristes japonais ne leur reconnaissent aucune authenticité; mais, cela dit, ces nouilles de la rue sont vendues partout au Japon et sont cuites, comme dans la versio Wakamono, dans un bouillon au miso, terreux et raffiné, avec du porc braisé, du poulet grillé, des crevettes, des rouleaux de pâte de poisson, des pousses de bambou et différents légumes encore bien croquants lorsqu’ils sont plongés dans le liquide brûlant. Ce plat est non seulement succulent, mais substantiel et parfaitement sain.
Le resto propose aussi les nouilles Udon et Soba. La première est une nouille épaisse et de nature généreuse, «la nouille du peuple», servie ici dans un bouillon dashi parfumé aux algues et au poisson, et garnie de kamaboko, ces boulettes de poisson dont la couleur singulièrement polychrome rappelle l’aube naissante plus qu’une bestiole maritime. La Soba, l’aristocrate, la polyvalente, est une nouille de sarrasin qui se mange aussi bien chaude que froide. Nous la choisissons garnie de crevettes tempuras et d’algues vertes, flottant dans un riche bouillon dashi. Enfin, les harusame (pluie printanière) sont une curiosité, des nouilles un peu gluantes faites de fécule de pomme de terre, qu’on fait sauter avec des légumes et des languettes de boeuf mariné. Mis à part la dextérité qu’exigera la manipulation des baguettes pour attraper ces fuyantes séductrices, ce plat est une réussite tant par le goût et la simplicité que par l’apparence. Nous passons sur les desserts au thé vert et aux fèves rouges, plus insolites que gourmands, et finissons la bouteille de saké qui nous donnera une migraine le lendemain – mais nous convaincra que boire ce vin de riz chaud (ce qui fait s’exhaler les notes sucrées) ne fait plus partie de l’orthodoxie nippone. Buvez-le froid, il n’en est que meilleur.
Pour manger à cette admirable addition orientale sur notre Plateau italophile, il faudra compter une trentaine de dollars à deux, avec les taxes et le service, sans le saké et la migraine!
Wakamono
1251, avenue du Mont-Royal Est
527-2747
Osaka
Ce petit troquet ne ressemble pas vraiment à un resto jponais. En tout cas, pas comme on les connaît habituellement. Avec sa petite salle, son long bar et ses chaises recouvertes de vinyle, il propose une ambiance familiale et un service fait à coups de courbettes charmantes chaque fois qu’on vous apporte des plats. La cuisine est savoureuse, composée de petits traits tout en délicatesse, comme sur une estampe. L’eau pour le thé frémit discrètement sur une cuisinière d’appartement, et la patronne glisse lentement dans ses pantoufles, entre les tables, servant des amuse-gueule variés pour faire attendre. Les soupes aux nouilles ramen et soba sont excellentes, et servies en bouillon sans fadeur – une rareté. Et, ce qui est encore plus étonnant, ce n’est pas cher du tout. Au menu du lunch, vous vous en tirez pour moins de 25 $ à deux, tout compris.
Osaka
2137, rue de Bleury
849-3438
Amuse-gueule
Impossible de ne pas remarquer la belle faïence dans laquelle on vous sert les sushis, les nouilles et les soupes dans les restaurants japonais de Montréal. Mais il n’est pas interdit d’y servir autre chose que de la cuisine asiatique! Aux États-Unis, plusieurs restaurants français ont commencé à offrir des amuse-bouche, et même des plats principaux, dans de la vaisselle orientale. L’effet est remarquable. Ici, la pratique est courante au restaurant Globe du boulevard Saint-Laurent et au Café Jongleux de la rue Saint-Denis. On trouve par ailleurs un assez bon échantillon de vaisselle japonaise chez Madame Uchiyama, au 460, rue Sainte-Catherine Ouest, local 426; chez Tan Nam, 1090, boulevard Saint-Laurent; ou chez Miyamoto, 382, rue Victoria à Westmount.