Restos / Bars

Les fromages de la Sicile : Toutes odeurs unies

Qu’est-ce donc qui unit les Italiens excepté le gelato après la passegiatta (la promenade du soir faite en famille)? On pourrait dire la pâte, l’huile d’olive et, peut-être, le café. Mais on peut affirmer sans se tromper que, dans ce pays de bergers, le fromage, avant les pâtes, est le grand unificateur de la botte.

En cuisine, nous ne connaissons bien souvent de l’Italie que des clichés de cartes postales. La Toscane, l’Émilie-Romagne, la Vénétie et la Lombardie, en un mot: le Nord. Des provinces où la culture italienne est la plus recherchée, et où le vin et la cuisine atteignent des sommets de délicatesse, de simplicité et d’élégance surtout. Or, de Rome – où l’on mange des plats à base de tripes, d’intestins, de panse de veau de lait (cuit dans son lait) et d’artichauts entiers frits – jusqu’à la Sicile, on connaît assez peu la gastronomie. Encore une preuve que ce pays formidable n’est pas exclusivement un pays, mais une collection d’anciens États et d’anciennes cuisines – dont certaines très âgées – qui a été assemblée depuis cent ans.
Qu’est-ce donc qui unit les Italiens excepté le gelato après la passegiatta (la promenade du soir faite en famille)? On pourrait dire la pâte, l’huile d’olive et, peut-être, le café. Mais on peut affirmer sans se tromper que, dans ce pays de bergers, le fromage, avant les pâtes, est le grand unificateur de la botte. Du nord au sud, il est consommé en grande quantité, il est produit dans une étonnante variété de formes, de goûts, de techniques, et est fait à partir de lait de vache, de brebis, de chèvre et de bufflonne. Tout comme en France, il fait partie de tous les repas. Mais, au contraire de celle-ci, on ne le mange pas en fin de repas: on le saupoudre, on le fond, on le tartine, on le sucre abondamment, on le liquéfie, on en fait des crèmes glacées, des gâteaux, et cetera. Bref, de l’entrée au dessert, le fromage contribue plus à l’unification italienne que le parlement de Rome.
Ce n’est donc pas étonnant s’il se tenait, dans le Sud de la Sicile cette semaine, un grand congrès sur les fromages méditerranéens, une manifestation d’envergure internationale baptisée Cheese Art 2000 chapeautée par plusieurs organismes italiens parmi lesquels Slow Food et le CRFLC le Consortium sicilien de recherche laitière et fromagère, dont c’était le second chapitre cette année. Le bt principal de cette opération considérable? Mettre en lumière l’artisanat fromager, sicilien d’abord, italien ensuite et, finalement, méditerranéen. Une chose en attirant une autre, plusieurs pays en dehors de la zone, comme l’Allemagne, le Danemark, le Canada et les États-Unis, invités à cette grande opération scientifique et gastronomique, ont présenté des résultats de recherche sur la formation du goût (et sur l’appauvrissement du goût chez les jeunes) aussi bien que sur l’industrie laitière. Certaines conférences restaient cantonnées dans le domaine idiomatique de la science exacte (incompréhensible pour de pauvres mortels comme moi); d’autres paraissaient presque surréelles, comme ce discours donné par la représentante de Kraft USA, adéquatement intitulée «les fromages outre-Atlantique». Du reste, c’était bien la première fois que j’entendais Kraft prétendre produire du fromage!
Le plus intéressant se passait en dehors de l’Université, dans la rue. Des chapiteaux avaient été installés afin de présenter et de faire goûter tous les fromage de Sicile, ses vins, ses huiles d’olive – d’exceptionnelle qualité d’ailleurs -; d’autres kiosques, dirigés par la faculté d’agriculture de l’Université de Catania, organisaient des visites dans les fermes productrices et expliquaient comment se fabrique encore le fromage artisanal en Sicile. Une école de cuisine enseignait les possibilités de plats fromagers à la sicilienne; des laboratoires de goût tentaient avec une remarquable rigueur d’associer des vins, des fromages, des produits typiques ou moins typiques de l’île; et montraient qu’au chapitre des possibilités, nous sommes loin d’avoir tout essayé. En cela, les Italiens sont des pionniers et continuent de faire preuve d’originalité.
Premier constat: ça nous a permis de découvrir des produits extraordinaires dont on ne soupçonnait certainement pas l’existence puisque leur transport et, surtout, leur rareté les rendent difficiles d’accès. Par exemple: la ricotta de brebis, un fromage frais qui ne voyage pas etne peut être consommé que sur place. Son goût subtil de noisette grillée, son parfum, sa texture soyeuse est à des années-lumière de la triste pâte granuleuse du commerce vendue ici. Autrement, le Ragusano, un fromage de lait de vache, l’un des seuls fromages DOP de la Sicile (dénomination d’origine protégée) est une pure merveille quand il est affiné à point, c’est-à-dire entre douze et quinze mois. Le Piacentino, qu’on trouve à l’occasion ici, est une pâte dure de lait de brebis dont le goût un peu sucré apporte une note singulière lorsqu’il est gratté sur les pastas. En fait, presque tous les fromages italiens à pâte cuite peuvent être saupoudrés, élargissant la palette du goût. En outre, le Pecorino sicilien, un autre DOP, le Maiorchino, le Fiore Sicano, bien que faits de lait de brebis, témoignent du culte laitier et de l’habileté des artisans et fromagers siciliens. Ce voyage éclair m’a aussi permis de comprendre que la Sicile n’était pas ce pays de fermiers et de mafiosi qu’on dépeint trop souvent dans les clichés. Au contraire, cette île aristocratique, ultra sophistiquée, riche en histoire est scrupuleuse, et ne s’ouvre au monde que lentement, et cela en dépit de la remarquable richesse de son terroir et de ses produits, et surtout de ses fromages. À découvrir.

Amuse-gueule
* Parmi les fromages siciliens offerts à Montréal, on trouve le Ragusano, un fromage oucaciocavallo («attrape-cheval» à cause surtout de la façon dont on accroche ce fromage en forme de longues briques à des poutres pour l’affiner); le Canestrato, le Pecorino peppato. On peut se les procurer en tout temps à La Baia Dei Formaggi, 1715, rue Jean-Talon Est.
* De retour à Montréal: ça bouge cette semaine. D’abord un congrès sur le végétarisme le dimanche 11 juin, au Palais des congrès. Important puisqu’on estime à 125 000 ici le nombre (croissant dit-on) de ces adeptes de la verdure et des graines. Info: 1-877-884-8343 et le site Web www.vegetarien.qc.ca* Cette semaine au restaurant Alexandre (1454, rue Peel), Bernard Leprince, chef invité (Meilleur ouvrier de France en 1996), propose un menu tiré de la carte du restaurant parisien La Maison Prunier, étoilé Michelin. Cela devrait présenter un intérêt certain surtout pour ceux qui aiment les poissons et les fruits de mer, que ce chef expert réussit particulièrement bien étant donné ses racines normandes. Le menu sera offert aux clients d’Alexandre jusqu’en septembre.