Sans nul doute, voici l’un des rares établissements où je n’hésiterais pas à pointer du doigt un plat quelconque sur la carte, sans même regarder, puis attendre en toute quiétude qu’on me serve. Cela tient au fait que j’y apprécie une qualité primordiale dans le monde de la restauration: la constance. J’ai mangé seulement quelques fois au Graffiti, c’est vrai, et de loin en loin, mais sans jamais tomber sur ce qu’on appelle un «mauvais jour». Et l’on ne trouve rien à redire non plus de l’accueil et du service, indéfectiblement attentifs et courtois. Ce midi ne fait pas exception. En attendant un peu dans l’entrée, le temps qu’on nous prépare une table, nous apprécions d’un coup d’oeil le nouveau décor de la salle à manger, plus clair et plus aéré, ponctué ici ou là d’une touche de verdure. Briques rouges, boiserie parcimonieuse, grand lustre drapé de chaînettes et un heureux mariage de tons frais confèrent à l’endroit une allure branchée. On nous installe en bordure de la véranda partiellement couverte de vitraux. Seuls, en couples ou en petits groupes, les dîneurs s’en donnent à coeur joie – au grand plaisir de ma compagne qui, déjà, tente d’identifier de loin ce qui se mange autour de nous. Des parfums chauds se hasardent jusqu’à notre table, discrets, furtifs… «Ces pâtes ont l’air bonnes… Ah, regarde-moi cette salade!…» Je regarde, donc je salive (Descartes a dû dire ça un jour). Extravagante de forme, la carte n’en est pas moins simple et ordonnée. On s’y perdrait pourtant pendant des heures pour musarder parmi les tartares, les rillettes de lapin aux pistaches, les noisettes d’agneau primeur à la saveur de badiane, le feuilleté de ris de veau à l’effiloché de courgettes, le carré de saumon à la rhubarbe et aux fraises, le rôti de chevreuil… Voilà que j’aperçois le menu du jour, et c’est le coup de foudre. «Tu vas prendre la terrine d’autruche?» demande mon amie. Vraiment gênant, parfois, qu’elle me connaisse à ce point-là! Elle dit vouloir s’en tenir à la carte et, soudain triste, me conie son drame: impossible de se décider entre les cannelloni de homard et saumon fumé et la fricassée de poisson que la serveuse nous décrit (plutôt deux fois qu’une) en termes de «tilapia, saumon, pétoncles et crevettes sur bisque de homard, avec linguine et fondue de poireaux». Elle finit par choisir tout autre chose, puis nous commandons deux verres de vin – un rouge pour elle (Château du Parc) et, pour moi, un bon petit blanc sicilien (Punico), couleur de paille. Elle qui ne consomme qu’exceptionnellement des abats se fait servir, en entrée, un cornet de ris de veau aux endives et pommes caramélisées! Elle s’en réjouit, qui plus est! mangeant avec ce sourire en coin qui a de quoi vous rendre jaloux. Il faut goûter pour comprendre, pour apprécier le moelleux des ris de veau et des endives, le parfait équilibre des assaisonnements auquel se mêle la douceur des pommes complètement fondues. Quant à ma terrine d’autruche aux pistaches, elle s’accompagne d’un chutney d’ananas et de pruneaux, parfumé à la coriandre et au curry. L’une ou l’autre pourrait se manger seule; chaque bouchée me fait donc doublement plaisir. Après cela, on nous laisse un peu de temps pour souffler, nous remettre un peu de toutes ces émotions. Entre-temps, des clients sont partis, d’autres sont arrivés. On voit s’en aller des assiettes vides et passer près de nous de nouveaux plats agréables d’aspect. Derrière moi, deux dames parlent espagnol. L’une d’elles explique ce qu’on vient de lui amener, justement cette fricassée de poisson qui a un instant tenté ma compagne. Cette dernière n’a pas le temps d’éprouver du regret, vu qu’on pose devant elle ses «rotinis aux fruits de mer et douceur exotique» – belle assiette hérissée de quelques moules. Mêlés aux pâtes et liés d’une sauce ragoûtante, pétoncles, crevettes et saumon complètent l’ensemble. Toutefois, au moment de lui offrir une bouchée de mon poulet sauté à la ligurienne, je la préviens: «Prépare-toi à vivre l’une des grandes émotions de ta vie!» Je ne plaisante qu’à demi, car l y a là de quoi faire remonter le poulet dans votre estime. Goûteuse par elle-même, la chair du volatile s’approprie encore la saveur d’une sauce aux tomates, pesto, câpres, olives et pignons. Les goûts se confondent, s’opposent, se rapprochent et semblent jouer à cache-cache pour surprendre à chaque instant un palais déjà tout ému. J’ai presque l’impression de trahir tout ce que j’aime d’autre. Cette description fait rire aux larmes mon amie, et cette bonne humeur partagée, aux causes multiples, se poursuit jusqu’à la fin d’un repas couronné d’un gâteau au fromage praliné et d’un café bien tassé.
Restaurant Graffiti
1191, avenue Cartier
Québec (Québec)
Tél.: (418) 529-4949
Menu du jour: 10,25 à 14,25 $
Tables d’hôte: 19,95 à 28,95 $
Dîner pour deux
(incluant taxes,boisson et service): 56,64 $