Restos / Bars

Môss : Il pleut, il moule…

Il pleut à verse – des cordes, des hallebardes ou tout ce qu’on voudra. «Il moule», dis-je à mon amie pour lui signifier, par ce lapsus volontaire, que j’aimerais, en cette soirée des plus aquatiques, dédier nos appétits à l’«euro-cuisine» de la rue Saint-Paul.

Il pleut à verse – des cordes, des hallebardes ou tout ce qu’on voudra. «Il moule», dis-je à mon amie pour lui signifier, par ce lapsus volontaire, que j’aimerais, en cette soirée des plus aquatiques, dédier nos appétits à l’«euro-cuisine» de la rue Saint-Paul. Elle ne se fait pas prier pour dire oui, m’ayant déjà rappelé que ce n’était pas elle mon invitée quand j’y suis allé les fois précédentes. L’endroit lui plaît – son décor, son design, du carrelage moucheté aux imposantes banquettes fleuries, sans oublier les lampes, les miroirs, la petite persienne entrebâillée près de nous et le vigoureux plant de houblon séché qui escalade jusqu’au plafond l’une des colonnes. Prévenants et polis, deux serveurs s’affairent de leur mieux pour s’occuper d’une salle presque pleine. Pour nous éviter de trop longues attentes, il en aurait fallu au moins deux autres. Mais, l’essentiel est que nous ne sommes pas morts d’inanition et que la table ne nous a aucunement déçus. En guise d’apéros, ma compagne s’est commandée une Leffe blonde qu’elle a spontanément choqué contre mon verre de muscadet. Quelques plats divers (homard, steak frites, salades, bavette de veau marinée au miel épicé, filet de boeuf, brochette de volaille…) s’ajoutent aux 14 recettes «classiques du Môss» – moules à la flamande, à la liégeoise, poulette, etc. Mon amie commence par une pointe de camembert en croûte de maïs, agréable contraste de moelleux et de croquant auquel s’ajoute la fraîcheur des melons, raisins et kiwis complétant l’assiette. J’avais décliné l’offre d’une entrée; je me ravise assez vite et me fais servir un feuilleté d’escargots à la crème d’ail doux. «Tout à fait sublime!» dirait Pinard. Le compliment s’applique à la sauce et, par voie de conséquence, aux escargots; le feuilletage lui-même me laisse perplexe. A-t-il été congelé trop longtemps ou quoi? Je me rabats sur des tranches de pain et ne m’en porte pas plus mal. Je m’octroie aussi quelques cuillerées d’une savoureuse crème d’épinards qu’on vient de servir à mon amie. Aprèsquoi, vu que l’appétit vient en mangeant, je me livre corps et âme à une mouclade charentaise. Orgiaque! J’envie presque les moules de pouvoir se rouler sans retenue dans cette sauce onctueuse (à base d’ail, de crème et de pineau des Charentes) et si abondante que ma cuiller feint de la prendre pour un potage. Je feins avec elle. Ma compagne y va bon train, elle itou, et vient bientôt à bout de ses moules aux deux moutardes. Nous faisons de notre mieux pour ne pas perdre la face devant l’unique dessert que nous avons commandé, une tulipe de mousse au chocolat noir qui, sur la carte, porte un sous-titre qui me fait penser à nous: «La volonté de résister et le désir de succomber».

Moulerie Môss
255, rue Saint-Paul
Vieux-Port (Québec)
Tél.: (418) 692-0233
Menu du jour: 9,95 à 17,95 $
Tables d’hôte à partir de 17,95 $
Souper pour deux (incluant taxes, boissons et service): 100,28 $

Tourisme et bonne chère
Ingénieur de son métier, Jacques Tardif aurait pu gribouiller des centaines de pages rébarbatives auxquelles seuls les spécialistes auraient pris plaisir. Mais voilà! Amateur de voyages, il nourrit deux grandes passions: celle du Québec, son pays, et celle «des bonnes choses». Ajoutons à cela son amour des voyages, propres à «aiguiser les réflexes d’exploration touristique et gastronomique», puis laissons l’imagination faire le reste. Résultat? Un livre dont on ne trouve rien à redire et qui, peut-être, inaugure un nouveau genre: La Route gourmande d’un Français au Québec. Aussi instructif qu’un guide touristique, l’ouvrage se révèle aussi intéressant qu’un roman bien enlevé. Il permet deux lectures (parallèles ou consécutives) qui plus est! L’histoire peut sembler simple au premier abord: au lieu d’être livré à lui-même en pays inconnu, Thierry, l’ingénieur stagiaire venu de France, sera pris en charge par son ami Philippe. Mais il n’y a pas que le boulot dans la vie, heureusement! Au fil des jours et des semaines, Thierry se fera des amis, prendra un bain defoule en période de carnaval, passera de la «pizza all dressed» (arrosée de Fin du Monde) à une partie de chasse et de dépeçage en compagnie du pittoresque «oncle Tancrède». Et que dire de sa truculente virée en souffleuse à neige! De menues découvertes jalonnent un récit linéaire fort alerte, écrit dans un style simple et qui, loin de se complaire dans un folklorisme primaire, explore tous les aspects d’une réalité complexe faite autant de tradition que de modernisme. Il y a le sirop d’érable, la poutine, le bouilli canadien, le pâté chinois et le sandwich au baloney, certes, mais aussi les produits de vignobles réputés, les fromages fins du terroir, des mets recherchés et, surtout, cette joie de vivre à laquelle notre stagiaire français se laisse prendre sans remords. La Route gourmande d’un Français au Québec compte 14 chapitres; cela commence par «Le pays du froid» et s’achève avec «Les Amérindiens». Ce sont autant de thèmes traçant un itinéraire balisé par 21 encadrés «techniques» (les croûtes lavées, le gibier, l’acériculture, les baleines, etc.), édifiants à plus d’un titre et assortis, le cas échéant, de données statistiques, géographiques ou climatiques. Il va sans dire que l’auteur mentionne chaque fois les individus, les entreprises et les établissements (restos ou autres) spécialisés dans tel ou tel domaine. En ouvrant ce livre, je m’attendais à tomber sur «un guide touristique de plus»; en le refermant, après lui avoir consacré des heures de lecture amusée, je souhaite qu’il serve de modèle à plusieurs autres.

La Route gourmande d’un Français au Québec
de Jacques Tardif

Éditions Anne Sigier
2000, 228 pages