Dans un cadre vaguement japonisant, où les lanternes de papier côtoient les posters affichant des masques orientaux ou des sourires fardés des geishas, on trouve peut-être l’une des meilleures affaires en ville. Si vous aimez l’ail. Si vous ne craignez pas la morsure sensuelle des petits chilis. Et si vous faites preuve d’ouverture au monde, car Man-Na propose de la cuisine coréenne de pure obédience, qui est, par ailleurs, presque méconnue tant on l’associe souvent à celles de ses puissants voisins chinois et japonais.
Or, la gastronomie coréenne vient d’un pays froid et humide. Ses spécialités vous collent aux flancs mais, surtout, vous gardent au chaud lorsque cela s’avère nécessaire. Et pendant la saison chaude, le génie coréen sait, avec discernement, préparer des petites choses irréprochables et originales pour défier un climat continental aussi brutal que le nôtre: des étés brûlants où l’on n’a envie que de légumes et de fruits. En outre, comme toutes les cuisines asiatiques, elle explose de parfums et d’aromates. Ce qui la rend, à mon avis, bien plus intéressante – et surtout plus digeste – que celles issues de climats semblables (Russie, Allemagne, Hongrie…).
Man-Na propose un menu où les spécialités d’hiver et d’été se rencontrent, dans un registre fort bien tenu et habilement expliqué. Tous les plats sont cuisinés avec soin et sont présentés avec élégance dans de la faïence importée de Corée ou du Japon. Rien de tout ce que nous avons essayé ne nous a déçus. Surpris, ça oui! Étonnés, assurément. Car cette cuisine décoiffe quand on y est exposé pour la première fois. Avant le repas, on vous apporte du riz blanc accompagné de quatre ou cinq kimchi, une variété de condiments de légumes relevés et à la forte personnalité qui suffiront à vous dépayser. Puis, prenez ces tuikim mandu, des dumplings façon pékinoise, cuits à la vapeur, mais dont la farce de porc bien épicé incendie un peu le bout de la langue; ils font juste assez de combustion pour vous faire pousser des petits gloussements de bonheur. On les engouffre goulûment. Et sans culpabilité tant ils sont légers. Dans la cuisine coréenne, le pa-jon est une crêpe de farine de blé, souvent servie dans la rue ou en pique-nique, et qui se prête à toutes les variations, en autant qu’elle contient les ciboules ou les oignons verts – que l’on appelle à tort les "échalotes". Ceux que nous préparent les cuisiniers de Man-Na sont faits avec de généreux morceaux de pieuvre fraîchement grillés et d’huîtres à peine saisies. En plat liquide, on trouve l’excellent bouillon épicé au boeuf et aux légumes, qui est subtil, mais relevé avec vigueur par le piment et l’ail, et réalisé presque sans matière grasse, juste un petit filet d’huile de sésame pour la forme. La Corée défend l’humble nouille avec brio dans le chol-myun, un plat où des nouilles de fécule de pomme de terre sont d’abord bouillies puis servies en étages sous une pile de légumes croustillants, des pousses de soja, du daikon, cet admirable radis blanc et doux, excellent pour la digestion, des carottes, du concombre, un oeuf dur, et un assaisonnement liquide absolument délicieux et idéal pour une soirée chaude. Dans tous les sens du terme. La maison propose aussi toutes sortes de sautés et des plats de riz tout aussi affriolants les uns que les autres. Et puisque les Coréens ne concluent jamais un repas sur une note sucrée, faites comme eux et contentez-vous d’une note, heureusement, assez peu salée: une quarantaine de dollars à deux, taxes, service et deux bières compris.
Man-Na
1421, rue Bishop
Tél.: (514) 288-1703