Sans le Byblos, le Plateau ne serait tout simplement plus le même. La petite maison de madame Hemella, garante depuis onze ans d’un certain style de resto de quartier de qualité, est un habile condensé des goûts d’aujourd’hui. Décoré sobrement, mais avec une certaine recherche – les peintures, les photographies joliment encadrées, quelques bricoles folkloriques -, les deux salles qu’éclairent naturellement les grandes fenêtres qui s’ouvrent directement sur la rue montrent d’une façon évidente que nous sommes à la fois dans une halte gourmande exotique et dans un café. La cuisine n’a pourtant rien d’un repaire baba cool et cela bien que l’on ne se formalise pas d’un code, que l’on s’attable où l’on veut sans attendre un signe du personnel qui nous accueille, bien souvent, avec un sourire de connivence.
Le style? Une sorte de fantaisie à l’iranienne, au service de la cuisine ménagère; une cuisine confectionnée par les doigts et inspirée par l’intuition formidable de la patronne et par sa parfaite connaissance de la gastronomie de son pays natal. Pas la préparation habituelle qu’on sert dans les bistros, pas celle – très masculine – que s’envoient les chauffeurs de taxi ou celle qui se mange entre hommes: kebabs, oignons crus, et brochettes de filet mignon. Non! la cuisine du Byblos, d’une subtilité rare, résume à elle seule le monde des parfums du Moyen-Orient, les sauces légères et fines, les textures crémeuses, les viandes fondantes et beurrées, les épices combinées avec grâce. Rien de violent dans chacun des plats proposés sur une toute petite carte ou, mieux, sur le menu du jour (14 $), composé d’une entrée ou d’une soupe souvent végétarienne, d’un plat – en général un koresht, le braisé perse fait de viande ou de volaille – un dessert et le thé servi dans une jolie théière, accompagnée d’une petite soucoupe contenant trois sortes de sucre. En plus, on trouve quand même quelques kebabs, et d’autres spécialités servies uniquement le dimanche soir.
Les soupes jouent de simplicité: une soupe foide de concombres et de yaourt – classique levantin – parsemée de pétales de roses pour une touche perse, la rose étant dans ce pays un symbole à la fois culturel et poétique. Plus rustique, un potage aux herbes, aux épinards et aux lentilles ne contient aucune épice, ce qui nous laisse ce goût un peu terreux de la légumineuse que rien ne complète mieux que cet assemblage d’herbes cuites dans un bouillon. Les entrées seraient comme des miniatures du potager estival: une salade de tomates, peut-être étuvées, parfumées avec un peu de sucre, quelques gouttes de citron, du sel et un peu de cannelle. Ou encore un plat contenant une vingtaine de boulettes de boeuf de la taille d’une bille que la cuisinière pétrit à la main et qu’elle fait rissoler avant de les faire braiser dans du yaourt et de la menthe fraîche. Étonnant et succulent. Les deux boules d’une pâte faite uniquement de poireaux et recouverte de flocons de poireaux séchés témoignent de la finesse des préparations. En plat, un ragoût de poulet, lentement braisé dans un bouillon safrané qu’on émulsionne à la toute fin avec un oeuf, ce qui lui donne texture et substance, a un goût vraiment subtil. Il s’accompagne du chelo, le plat de basmati iranien, cuit à la vapeur et nappé de beurre fondu et de pistils de safran. On réserve aux viandes – de boeuf, mais surtout d’agneau – des traitements tout aussi délicieux. Dans le koresht d’agneau braisé mélangé à même le riz – cette technique s’appelle le polo ou pilaf – que garnissent d’étranges petites cerises aigrelettes miniatures, on trouve des parfums délicats et francs, du sucré et un peu de salé. Envie de douceurs après toutes ces choses?
Les Iraniens font souvent preuve de prestidigitation dans ce domaine, car le sucre est l’une des grandes passions perses. La patronne nous en fait goûter quatre ou cinq, une gelée de cerises noires, des glaces à la rose, à la cardamome ou au concombre et aux herbes (saisissant); ou une assiette de pâtisseries minuscules sur le thème du baklava, mais en infiniment plus affiné: plus d’amandes, plus de parfum de fleurs d’oranger. Il faut voir la cuisinière installée sur un coin de table en train de les rouler à la main, quelques minutes avant de vous les servir encore chaudes. Le gâteau au chocolat, seul compromis occidental, est parfumé à la cardamome et fait, paraît-il, des malheurs parmi la clientèle qui en redemande assidûment. Il est moelleux et alléchant dans sa simplicité, servi tout nu sans coulis ni sauce.
L’ambiance apaisante du Byblos, un service attentionné qui vous réserve parfois quelques surprises, toujours fait avec affabilité, et la cuisine d’exception confirment que la culture perse est d’un grand raffinement. Et loin du cliché d’enturbannés furieux qu’on lui a trop souvent associé. Comptez donc 50 $ pour deux repas copieux, arrosés de vin rouge ou de bière, avec les taxes et le service.
Byblos, le Petit Café
1499, rue Laurier Est
Tél.: (514) 523-9396
Amuse-gueule
Notre ville compte bon nombre de commerces d’origine perse et je ne saurais trop vous recommander d’aller visiter son meilleur ambassadeur. À NDG, au 5916, rue Sherbrooke Ouest, l’Épicerie Akhavan est un bijou exotique dans ce quartier qui compte de plus en plus d’Iraniens. Une visite devrait vous convaincre que nulle part vous ne trouverez autant de noix, d’épices, d’essences de fleurs, de riz de plusieurs qualités et provenances, de fruits secs dont l’Iran est l’un des principaux fournisseurs (et consommateurs) et des pâtisseries uniques en ville. Et des exemplaires du Coran en français si le coeur vous en dit.