Restos / Bars

Area : Carte du monde

Certains restos nous affolent dès l’entrée. Le décor trop branché, le service trop policé, la carte trop précieuse. Or, il arrive que le resto soit aussi beau que la clientèle et que, ma foi, la cuisine soit aussi réjouissante. C’est un peu le cas d’Area, le dernier-né de ces restos mode, habituellement trop séduisants pour être sincères.

Certains restos nous affolent dès l’entrée. Le décor trop branché, le service trop policé, la carte trop précieuse. On s’y sent comme à l’opéra, constamment inadéquat. Ces endroits qui finissent tous par se ressembler, du reste, proposent souvent une cuisine qui n’a aucun sens et fréquemment aucun goût. Le philosophe Michel Onfray appelle ça la cuisine-frime: celle qui souligne la géométrie des plats, multiplie les effets de «fusion», accentue les couleurs et accole des noms aussi insolites que dénués d’intérêt à des recettes souvent maladroitement exécutées. Le métier de chef ne s’apprend pas en regardant la télé.

Or, il arrive que le resto soit aussi beau que la clientèle et que, ma foi, la cuisine soit aussi réjouissante. C’est un peu le cas d’Area, le dernier né de ces restos mode, habituellement trop séduisants pour être sincères. En ce sens, il a tout ce qu’il faut: il attire tout ce qui est beau, a de l’argent et aime ce qui lui ressemble, tous sexes confondus. Trop souvent, dans ces temples arrivistes, la faune «cellularisée» s’intéresse davantage à elle-même qu’à la cuisine. Mais les patrons et la brigade de ce très beau resto tout en blanc et noir, avec des voilages séparant la cuisine de la salle et un éclairage sobre, ont du métier, et ça se voit. Ils glissent sans effort entre les tables, rient avec les clients, s’égayent de civilités de toutes sortes sans négliger la qualité du service. Et bien que le rythme fut un peu lent entre les plats – il y avait salle comble ce soir-là, nous comprenons pourquoi -, rien ne nous a jamais été insupportable, sinon la faim.

La cuisine? Elle reste essentiellement française, sagement influencée par le terroir méditerranéen (et quelques notes exotiques ici et là) dans les goûts francs et des assaisonnements assez justes, malgré quelques errements dans les accords. Ça donne une assiette d’artichauts très fins et succulents, escamotés sous une pyramide de calmars marinés et cuits au bouillon, tout ça magnifié par une émulsion à l’etragon qui ne dissimule pas la fraîcheur des produits. Engendré par le génie culinaire vietnamien et interprété par les chefs, le rouleau au papier de riz farci de crevettes, de concombre, de menthe fraîche et d’un peu de piment s’accompagne ici d’une sauce un peu trop richement relevée. Mais l’assiette, dans sa simplicité, est impeccable tout de même. En plat, le jarret d’agneau braisé au vin rouge est servi en assiette creuse sur un pilaf d’orge cuit avec des champignons shiitake; un plat roboratif, un peu trop même pour une soirée chaude et humide. Qu’importe! Le savoureux braisé, même s’il n’est pas de saison, est une version stylisée (et délicieuse) de la cuisine de terroir. Quant à la côte de porc, elle est épaisse et rosée, sa chair luisante, moelleuse et parfumée aux graines de moutarde, et on la sert sur une purée blanche (que nous soupçonnons être de l’humble patate), couverte d’abricots secs… encore secs. Ils finiront en cure d’isolement sur les bords de l’assiette. Point d’orgue sur un bol de fraises – certaines fraîchement préparées, d’autres refroidies par un passage prolongé au frigo – noyées dans un sirop de lime très doux, servies avec un gâteau quatre-quarts passé à la salamandre.

Si les saveurs sont bien maîtrisées, l’Area fait un peu trop dans le plat-éperon, vertical et «embelli» d’herbes et de choses généralement vaines, ce qui l’affecte d’un brin de préciosité. Mais au-delà de ces tout petits irritants esthétiques, les idées ne manquent pas à cette cuisine fraîche et personnelle, d’exécution encore un peu timide, mais qui promet de prendre son envol. Ça se sent. Et puis un bon point pour le petit vent de nouveauté qui vient souffler sur le Village où la bonne chère est encore un concept étranger. Et un autre pour une carte des vins spartiate, mais bien construite autour de petits crus de qualité. Certains trouveront l’addition salée, mais avouons-le: comme c’est agréable, le luxe! Comptez 90 $ à deux, avec les taxes, le service et deux verres de vin.

Area
1429, rue Amerst
Tél.: 890-6691