«Tu ne vas quand même pas capoter pour un steak house!…» C’est ma raison qui radote. Je lui demande gentiment de la boucler. J’ai pour cela une infinie variété de raisons – la région, le lieu, la table, les vins et tout ce qu’on éprouve d’agréables sensations une fois qu’on est descendu de voiture… et jusqu’au moment où l’on repart, à regret, en se promettant de revenir. Ancienne résidence du fondateur de Saint-Georges, Jean-Georges Pozer, cet imposant manoir blanc enluminé de rouge fut nommé «monument patrimonial» en 1998. On a su le rénover sans le profaner, et il ne se trouve rajeuni que par la présence des jeunes (propriétaires et personnel des cuisines) qui l’ont pris en main. Au rez-de-chaussée, deux grandes salles à manger accueillent les groupes, tandis que les anciennes chambres, à l’étage, sont devenues autant de petits salons privés nommés «Marick», «Mirka», etc. Mon amie et moi avons pris place en haut, sur le palier, juste au-dessus d’une courbe d’escalier: c’est par là que nous arrivent les odeurs de potages ou de viandes, avant même que le serveur ne débouche des cuisines, et c’est de là que nous verrons arriver d’autres convives au cours de la soirée. Le service est stylé, prévenant, poli. Nous trinquons au Floc de Gascogne, mon amie et moi, tout en grignotant sans presse nos amuse-gueule – deux aux rillettes de saumon et deux au chèvre, miel et herbes de Provence. La carte recouverte de liège s’ouvre sur des entrées de saumon fumé à l’armagnac, filo de volaille au féta et parmesan, magret de canard fumé, etc. Suivent les mignons de porcelet aux baies des champs, côte de boeuf, raie au beurre blanc, cuissot de caribou à la gelée de sapin, longe d’agneau au pesto, crevettes et pétoncles mouillés d’un velouté de fenouil au muscadet. Des odeurs discrètes, trop discrètes et trop fugaces, continuent de se hisser jusqu’à nous. On en devient fébrile et l’on se hâte de choisir: pour ma compagne, une salade tiède au faisan confit et pour moi, un copieux carpaccio de bison au pistouet noix de pin grillées. Nous étions conquis en arrivant, je l’avoue; dans ces moments-là, un rien, la moindre peccadille risque de passer à nos yeux pour une catastrophe. Mais voilà nos palais ravis. Et nos regards qui se disent que nous avions flairé juste. Une vinaigrette qui se laisse oublier pour mieux mettre en valeur la saveur fraîche des feuilles et la chair goûteuse du faisan; le pistou et les tranches de bison qui attendent d’arriver dans votre bouche pour vivre à fond leur coup de foudre – bref, nous sommes contents, mon amie et moi, et nous nous le disons sur tous les tons, avec les mots et les comparaisons qui nous passent par la tête. Pas moins joyeux que les autres clients dont la bonne humeur, réchauffée de bon vin, résonne sous les hauts plafonds! Nos assiettes repartent… plus que vides, c’est-à-dire soigneusement épongées par nos bouchées de pain. Il s’agit de petits pains de blé entier, légers, qui n’ont rien à voir avec ces poids lourds indigestes qui font le bonheur des masos. Nous en mangeons encore avec notre potage chaud, corsé, un peu acidulé. Enfin, pour le grand jeu, on renouvelle nos couverts. Les couteaux à steak en imposent par leur taille et leur poids. Il vous suffit d’en prendre un en main pour commencer à saliver, submergé par une espèce de carnivoracité qui vous fait ânonner «nos ancêtres les boucaniers…» Mon amie se tord de rire. Pourtant, je suis sérieux. Je le crois, du moins. Et puis, soudain, elle se fige, le souffle coupé par l’énorme «côte de boeuf Pozer au jus et aux arômes de thym et d’ail» qu’on pose devant elle. J’en reste moi-même bouche bée. Elle se méprend, m’octroie spontanément la première bouchée et attend un commentaire. Je ne trouve rien à dire. Quels mots inventer pour décrire une viande qui semble prendre plaisir à se laisser manger? Elle y goûte à son tour, sourit, y goûte encore, s’enthousiasme. Tout lui plaît – la viande, bien sûr, et la sauce parfumée sans excès, et le brocoli, la macédoine de petits légumes, la demi-tomate farcie, le «riz aux sept grins» (sauvage, basmati, etc.), cuit à point, ni pâteux ni desséché, enfin tout. La même garniture m’est servie avec, au lieu du riz, des pommes de terre rissolées. Comme il se doit, une fine croûte scelle mon «coeur de filet mignon de boeuf au chèvre des neiges fondant». Si bien que chaque bouchée libère brusquement son trop-plein de jus – dont le vin que je bois se fait aisément un allié. Le plaisir dure, dure jusqu’au dessert qui nous révèle que le jeune chef est aussi une excellente pâtissière. «Dépêche-toi, si tu veux y goûter!» suggère ma compagne avant de terminer ce Rêve éphémère à l’érable qui mobilise tous mes superlatifs.
Restaurant du Manoir Pozer
610, avenue de la Chaudière
Saint-Georges, Beauce
(418) 226-0506
Menu du jour à partir de 6,50 $
Tables d’hôte: 22,95 à 30,95$
Menu gastronomique: 49,95 à 59,95 $
Souper pour deux (incluant taxes et boissons): 88,65 $