Cette semaine, nous avons déniché deux restaurants de pays tropicaux qui, chacun à leur manière, ont envisagé le problème de l’authenticité sous un angle différent. Le premier n’a fait aucun compromis. Résultat: il ne plaira pas à tout le monde, il en effarouchera peut-être même certains; en revanche, il séduira les vrais amateurs de sensations fortes. Le second en a fait un peu, mais c’est déjà trop. Et bien que sa cuisine soit généreuse et soignée, elle manque singulièrement de punch.
Ban Lao-Thai
Le Laos est un pays vraiment merveilleux. Il émerge à peine de l’économie centralisée imposée par l’idéologie communiste et, par conséquent, n’est pas encore envahi de McDo ou de Starbucks. Je le sais bien, j’y étais l’hiver dernier. Et mon plus mémorable souvenir, ce fut la cuisine. Avec des plats semblables à ceux du Nord-Est thaïlandais, relevés et excellents, la cuisine laotienne se démarque par un sérieux usage de piments forts, d’ail, et de sauce de poisson. En d’autres mots, elle flagelle les sens! Les spécialités sont de véritables embrasements du palais, qui vous remettent les papilles gustatives à l’heure juste quand ils ne vous les mettent pas carrément en feu. Mais quel incendie délectable, quelle souffrance exquise, pour découvrir des parfums sensuels, chauds et uniques au monde.
On trouve donc dans ce petit resto de famille laotien, le seul au Québec, tout ce qu’on aime de la "vraie" cuisine thaïe – pas celle des vils fast-foods, pas celle cuisinée par des marmitons chinois ou vietnamiens qui ne connaissent pas bien les vertus des épices et du chili. C’est un endroit tout simple où la mère cuisine, les fils font le service, et le père ramasse tout à la fin de la soirée. Les sautés de viandes et de légumes, les currys, les soupes aigres-douces, presque sucrées, les salades fortifiantes des menus thaïs se retrouvent ici dans leur version rigoureusement authentique. Cependant, plusieurs des spécialités typiquement laotiennes devront être réclamées à partir d’une série de photos. Les plats sont faits sur place, par une cuisinière empressée derrière un comptoir où traînent les mortiers de granit, les planches de bois, les woks et les ingrédients – tous frais – qui entreront dans les préparations, parfois savantes, souvent simples, qui composent le menu. On peut avoir une bonne idée de ce type de cuisine en commandant le som tam, la salade de papaye, qui n’est jamais réussi dans les autres restos. Pourquoi? Parce qu’on élimine les petits crabes secs et les piments agressifs qu’on doit piler et qui donnent un goût féroce à cette salade. Je l’avoue, c’est un goût à acquérir, mais une fois qu’on l’a, c’est comme du chocolat, on en rêve. Plus délicates, remplies d’herbes fraîches et de citronnelle avant d’être grillées, les saucisses de porc sont parmi les meilleures qu’il m’ait été donné de manger. Le laap est une autre salade, cette fois-ci d’un hachis de boeuf – cru ou cuit – qu’on mêle à du riz cru grillé, à des herbes et à du piment. Oui, ça vous arrache un peu la bouche, mais, pour calmer la douleur, on sert tous ces plats avec du khiao niao, le riz gluant sans lequel la cuisine de ce pays ne serait tout simplement pas la même. On peut aussi prendre le fà , une soupe qui s’apparente au pho vietnamien mais avec un bouillon au parfum plus rustique. Comptez tout au plus une quarantaine de dollars pour deux repas copieux et savoureux, les taxes et le service compris. Comme on ne possède pas le permis d’alcool, on recommande donc le thé pour arroser ces plats… d’enfer!
Ban Lao-Thai
930, boulevard Décarie
Ville Saint-Laurent (métro De l’Église)
Tél.: (514) 747-4805
Le Chamarel
L’île Maurice a tout du paradis gastronomique: une tour de Babel de cultures sur une petite île tropicale. Ce qui revient à dire que lorsqu’on est là-bas, on peut manger les spécialités d’une multitude de pays. Tous les jours. Nous aussi, on aimerait bien déguster la vraie cuisine mauricienne. Dans ce mignon Chamarel, qui vient à peine d’ouvrir ses portes, on propose une carte enjouée, qui laisse l’impression au client qu’il va découvrir une cuisine jouissive. Pourtant, les patrons ne font pas tout à fait ce qu’il faut pour nous la faire connaître: ils adoucissent les parfums, coupent la quantité d’ail et de piments, proposent des pommes de terre en accompagnement alors qu’on ne mange que du riz à l’île Maurice… En un mot, ils édulcorent les spécialités de leur pays. Mais nous aussi, on est masochistes! On aime quand ça pique (un peu). Les entrées de petites bouchées créoles, baptisées tidbits, sont pimpantes, et se déclinent en trois versions, toutes frites, savoureuses et surprenantes. Toutefois, le caviar d’aubergine n’a pas beaucoup de goût et se présente sur une biscotte commerciale. On sent la même bonne volonté dans les plats principaux, tous bien faits, tous goûteux mais, au fond, un peu quelconques. Un boeuf rôti créole, qui rappelle le boeuf à la ficelle; un poulet rôti à la mauricienne en sauce tomatée, trop timide en épices et en citron pour être vraiment différent et une carte qui fait des compromis pour plaire à une clientèle timide et profane: du saumon aux amandes, par exemple. Dommage, car les patrons sont tout à fait adorables, le lieu sympa, comme tout et l’addition, très raisonnable. Cinquante dollars à deux et on apporte son pinard.
Le Chamarel
330, avenue du Mont-Royal Est
Tél.: 286-0123