Restos / Bars

Château Mont-Sainte-Anne : L'épreuve du sans maître

Dans certains salons de coiffure haut de gamme, vous payez moins cher quand vous n’êtes pas coiffé par le «Maître». Peut-être devrait-on adapter cette formule à la restauration: prix réduits en l’absence du chef!… Ce dimanche-là, mon amie et moi souhaitions nous éloigner un peu de notre environnement habituel et, par la même occasion, savourer la cuisine de celui qu’on nomme à juste titre le «pionnier de la fine cuisine régionale au Québec». L’intuition manquait à l’appel, car, avant de nous y rendre, nous aurions dû demander si le chef n’avait pas pris congé ce soir-là… C’était justement le cas et nous ne l’avons appris que plus tard, avant de repartir. Bref, j’avais réservé pour 19 h. Nous voici donc, ponctuels, sur le seuil du restaurant Beau Regard. Quelques tables occupées, ici et là, et un jeune serveur qui va de l’une à l’autre. Il nous jette un coup d’oeil, continue de s’affairer et nous jette un autre coup d’oeil avant de se rendre aux cuisines. Au bout de deux ou trois minutes, une serveuse fait son entrée, nous adresse un petit signe et va s’occuper elle aussi des tables – verres d’eau, ustensiles et toutim. Nous attendons encore. Combien de minutes? Je l’ignorerai toujours. En tout cas, c’est fichtrement long. Nous voilà enfin installés près d’une haute porte-patio offrant une vue rapprochée sur le mont Sainte-Anne, avec ses cabines de téléphérique nichées dans le feuillage. En deçà, on prend le temps de détailler les aménagements du complexe hôtelier – rocaille, piscine, terrasse et tout ce que je cesse d’admirer aussitôt qu’on nous présente la carte. Celle-ci s’ouvre sur des «Suggestions gourmandes», dont la terrine de veau de Charlevoix aux petits légumes et concombres glacés. Elle propose également le tartare de saumon avec meurette de poireau de l’Île et salsa de fruits exotiques, le jambonneau de pintade garni de duxelles des sous-bois au whisky canadien, la bavette de cerf, du boeuf, sans oublier le «coup de filet du jour» – en l’occurrence du flétan à la sauce citronnée. Nos veres de vin en main, tout nous sert de prétexte pour trinquer: le décor, l’ambiance, les jardinières suspendues et tous ces noms de plats qui chantent à l’oreille. Mon amie a choisi en entrée des crevettes de Sept-Îles et avocat en mousse, accompagnées de poivrons et d’une crémeuse d’agrumes et de tomates. En bouche, le résultat s’avère fort intéressant. Les goûts semblent s’affronter un bref instant et soudain s’harmonisent. Je m’estime tout aussi choyé avec l’aumônière de ris de veau et canard, mouillée de jus d’herbes fraîches et de glace de volaille. Nous nous sentons dans les meilleures dispositions pour apprécier la suite, surtout que, comme par magie, quelques personnes se sont ajoutées au personnel de salle. D’un coup, le service remonte de plusieurs crans. C’est donc avec le plus grand sourire que nous accueillons bientôt nos potages: pour ma compagne, une excellente crécy, crémeuse, goûteuse et chaude; pour moi… quelque chose. Ce devait être un «consommé de gibier Beauce-Appalaches»; j’ai, dans mon assiette, un liquide pâlot où flottent quelques morceaux de viande ratatinés. Saveur? Néant. Ou presque. Quelques pincées de sel n’y changent rien. Imperturbable, je me dévoue tout de même de quelques cuillerées. C’est une grande assiette creuse colorée qu’on amène un peu plus tard à mon amie. Il s’agit de linguine sautées au caribou fumé et nappées de pesto aux tomates. Un brin de romarin et deux fines tranches de taro frit décorent l’ensemble – un ensemble assez réussi, à vrai dire. Brocoli, courgettes, chou-fleur, pommes de terre bleues, julienne de légumes, purée de patates douces et branche de thym planté dans une demi-tomate-cerise: il y a tout cela pour escorter mon «trio de grillades du boucher», à savoir du porc, des filets de poulet et des saucisses piquantes. Après cela, le temps qu’on nous apporte les desserts, nous procédons à un petit bilan de cette soirée en dents de scie. Le repas ne fut pas médiocre, mais nous attendions mieux d’une table de ce calibre. Cela s’achève heureusement sur une not plus réconfortante. On retrouve de tout dans l’assiette aux gourmandises: de la macédoine de melons, des tranches d’orange, des fraises, de la crème anglaise et, sur du chocolat noir, une mousse de chocolat blanc garnie de petits fruits. De tout cela s’élève un élégant motif de sucre filé, tourmenté comme une passion.

Château Mont-Sainte-Anne
Restaurant «Beau Regard»
500, boulevard Beaupré
Beaupré (Québec)
Tél.: (418) 827-5211
Tables d’hôte: 20,50 à 30,95 $
Souper pour deux (incluant taxes, boissons et service): 84,00 $