Restos / Bars

Le Palais de l’Inde : L'épice de la vie

Dans toutes les cuisines aristocratiques de l’Europe médiévale, on faisait mijoter les viandes, les volailles, les poissons, et même les légumes dans des sauces riches et parfumées au clou de girofle, à la cannelle, à la muscade et au gingembre surtout.

Dans toutes les cuisines aristocratiques de l’Europe médiévale, on faisait mijoter les viandes, les volailles, les poissons, et même les légumes dans des sauces riches et parfumées au clou de girofle, à la cannelle, à la muscade et au gingembre surtout. Certains auteurs supposent que cette cuisine s’apparentait davantage à la cuisine indienne telle que nous la connaissons aujourd’hui qu’à celles de l’Occident moderne.

Le curry, par exemple, une poudre commercialisée, n’est pas une épice, mais un mélange d’épices qui varie selon la province indienne, la langue et la religion (mais oui) de ceux qui la préparent. En Inde, on baptise plutôt "massala" ces mixtures parfois très savantes, qui contiennent entre deux et vingt-quatre épices, grillées ou non, et qui servent de base à tous ces ragoûts mijotés qu’on nomme désormais "curry".

En ville, la plupart des restaurants indiens sont tenus par des Bangladais, dont la cuisine diffère de celles des autres régions du Nord de l’Inde par un usage de graines et d’huile de moutarde, de turméric et de chili incendiaires. En outre, un repas bengali n’est jamais complet sans poisson d’eau douce, considéré – en plus d’être un symbole de fertilité – comme le centre du repas avec le riz. Je m’étonne donc de ne jamais en trouver au menu de ces établissements un peu classe comme ceux qui longent le boulevard Saint-Laurent, au nord de Saint-Joseph, et qui sont tous sous administration bengalie. Ce qu’on trouve cependant au Palais de l’Inde, installé là depuis plusieurs années et où je fais ma première visite, c’est une cuisine qui n’a rien de sensationnel, mais qui fait tous les compromis nécessaires pour proposer à sa clientèle non-indienne des spécialités d’un répertoire classique. Oh! rien de décevant: on y sert des plats qui ont une certaine légèreté. Mais pour qui veut découvrir des spécialités insolites sans voyager dans le West-Island, ce restaurant se cantonne dans l’univers du connu. Dans un décor pseudo-chic qui n’a de palais que le nom, où les murs sont recouverts d’une étrange tapisserie scintillante qui évoque ces tapis synthétiques qu’on mettait au pied des arbres de Noël, le tout embelli de fausses plantes, et d’un éclairage un peu glauque qui donne au visage un air de Schtroumpf, on a le mérite cependant de bien s’occuper de vous. Le service est efficace, courtois et bilingue.

Au menu, les habituels purées de lentilles, ragoûts de viandes ou de légumes, mais aussi des byrianis assez ordinaires, en somme; et du poulet au beurre, deux plats d’origine mongole – jamais préparés dans les règles et toujours trop peu gras, le beurre clarifié étant essentiel pour leur donner du relief. On utilise ici le ghee végétal, une sombre concoction industrielle à base de soja qui élimine toute authenticité. Cela dit, tout ce que nous avons choisi ce soir-là était fort agréable mais sans surprises, une version lénifiée de la vraie cuisine. Le phal d’agneau à la Bangalore, par exemple, n’apparaît jamais sur la carte d’un restaurant en Inde, même à Bangalore. C’est une invention des restaurants indiens d’Angleterre, qui s’avère être le curry le plus pimenté du menu qu’on servait à la sortie des pubs à ceux qui avaient trop bu de lager. Celui que nous offre ce Palais, enflamme bien le nôtre, sans nous remuer davantage. Le korma de poulet, un curry dont la sauce riche et parfumée est à base de yaourt et parfois de noix, constitue un contraste délicieux. Les lentilles en purée ont un goût qui ressemble trop au bhaji de légumes et au ragoût de chou-fleur, sans doute mijotés avec la même base d’épices. Et même si les plats de riz pulau et les nans sont de facture acceptable, ils n’ont rien à voir avec la remarquable boulangerie tandauri. Ils sont un peu flasques et manquent de sel. Bref, ce Palais de cinoche est correct, l’addition n’est pas bien méchante, mais on l’oublie vite quand on connaît les délices que peut nous proposer la cuisine de ce continent. Pour deux personnes, un repas copieux coûtera environ 40 $, taxes et service compris.

Le Palais de l’Inde
5125, boulevard Saint-Laurent
Tél.: 270-7402

Amuse-gueule
Si la plupart des Bengladais font une interprétation standardisée de cette cuisine, allez faire un tour à Dollard-des-Ormeaux (dans l’Ouest de l’île) pour découvrir des cuisines indiennes plus authentiques, comme celles du Gujerat, du Pendjab, du Tamil Nadu ou encore mieux du Rajasthan, dans des petits restos familiaux nichés dans les mails du boulevard des Sources. Autrement, rue Jean-Talon, à l’ouest de l’avenue du Parc, et un peu au nord, avenue Ogilvy et rue Jarry, on trouvera plusieurs petits troquets punjabis authentiques où le ghee coule à flot sur de très bons currys végétariens, ou non. Pour la cuisine du Sud, il faudra aller sur l’avenue Victoria ou sur Côtes-des-Neiges, là où quelques rares restos se spécialisent en dosas tamouls.