Difficile d’imaginer "la mer" au coin des rues d’Iberville et Rachel. C’est pourtant le nom qu’a choisi ce mignon petit bistro. Par contre, ce n’est pas dur d’imaginer l’Italie ici tant la cuisine est scrupuleuse, savoureuse et débordante de parfums méditerranéens. En fait, sur le Plateau – qui n’est pas réputé pour la qualité de ses restos italiens -, c’est peut-être aussi le seul qui produise une cuisine assez authentique pour attirer les amateurs dont les papilles sont pour le moins exigeantes quand il est question de pâtes et de pizzas. On les comprend!
Il Mare est décoré comme une trattoria un peu baroque, avec beaucoup de céramique sur le plancher et même sur les tables, l’ubiquiste machine à espresso, une verrière toute neuve (et chauffée) avec vue sur le trafic, et des plantes en plastique qui grimpent sur les murs pour évoquer, je ne sais pas moi, peut-être quelque jardin romain. Des dizaines de bouteilles de vin ornent aussi la cheminée et chacune des aspérités disponibles. Cela me fait penser que les Italiens nés ici ont parfois de bien drôles de notions d’esthétique, surtout lorsqu’il est question d’évoquer une lointaine patrie. En cuisine cependant, le mirage est exemplaire, et les plats ont le goût de la tradition ménagère méridionale. Les pizzas impeccables, les plats de pâtes exquis – abondants aussi -, les salades préparées avec des produits frais, des tomates qui goûtent autre chose que la farine, de l’huile d’olive extra-vierge, des herbes fraîchement coupées, des olives marocaines confites; bref, la simplicité et la qualité des produits qui doivent faire partie de tout repas italien s’expriment ici avec assurance. À la carte, un plat de linguines maison aux oeufs, servis avec une sauce aux tomates, riche en goût mais un peu aqueuse, et des haricots rouges; le tout est si copieux et paradoxalement si succulent qu’on le finit en dépit du sérieux complexe de culpabilité qui nous habite. Tant pis! On retournera à la maison à pied. Même souci de qualité dans des fettucinis pescatore, où perce l’ascendant maritime des patrons avec de la morue, des crevettes, des calmars, sautés avec abandon et nappés d’un jus dense et absolument succulent. Au dessert, un tiramisù de très bonne facture, mais commandé à l’extérieur de la maison – avec du mascarpone, des biscuits de Savoie encore un peu craquants, des notes de café bien fort – où, pour une fois, le chocolat ne devient pas la raison d’être de ce dessert souvent interprété n’importe comment. Avec une carte implacablement simple, une liste de vins à la fois soignée et juste, du café comme on en boit en Europe du Sud et un service courtois et informel: ce petit bistro a de l’avenir. Surtout pour 50 $ à deux, taxes et service compris, avant le vin.
Trattoria Il Mare
2487, rue Rachel Est
Tél.: 529-7898
Amuse-gueule
Daniel Pinard est comme un farfadet, chaque fois que son étoile pâlit, il rebondit comme un diable à ressort. Toujours aussi pittoresque, il vient de lancer le deuxième tome de ses Pinardises, un livre tellement attendu qu’on avait presque cessé d’y croire. Mais Pinard aime séduire; par conséquent, il penche plus pour le prélude érotique (les Anglais diraient le foreplay) que pour l’attaque sur l’édredon. Question de choix. Encore des Pinardises (Boréal) adopte exactement la même formule sympathique, le même graphisme, les mêmes illustrations de Pierre Pratt, presque la même couverture avec un Pinard un peu plus grisonnant que sur celle du premier volume qui en est à sa dix-huitième réimpression depuis 1994, et qui se vend plus que les romans d’Anne Hébert. Le contenu? Quand une recette marche, pourquoi changer? Pinard présente des chapitres qui ne semblent pas avoir de liens entre eux, chacun des thèmes (citron, bière, canard, Portugal, sorbets, cassoulet, etc.) provient d’une collection d’articles écrits pour Le Devoir. Pourtant, le but reste le même et ça fonctionne à tout coup: donner le goût de la cuisine du monde (occidental surtout) aux personnes à qui cela fait peur, leur faire découvrir de nouveaux produits, simplifier les techniques, expliquer, commenter, éclairer; voilà la force incontestable de ce redoutable communicateur. Imposer aussi la cuisine à ceux qui ne l’ont jamais faite auparavant et qui, en découvrant ces Pinardises, auront l’impression de communiquer directement avec l’auteur. Un sentiment insolite qui n’est pas sans rappeler cette intimité qu’on éprouve avec Woody Allen en voyant chacun de ses films. Précédant toutes les recettes, Pinard se raconte d’ailleurs un peu, d’une façon baroque et un peu démodée, mais pleine d’esprit et d’un certain charme désuet. Et bien qu’il souffre d’écrire – ce sont là ses paroles -, il le fait bien. Passer quelques heures à tourner ces pages est un réel plaisir, tant pour l’apprenti que pour le pro, qui n’apprendra pas grand-chose, lui, mais s’amusera de la prose d’un homme de culture et d’esprit. Parions que ce deuxième tome dépassera aisément les dix-huit tirages.