"Bon voyage" fait pendant à "Bon appétit" et, en l’occurrence, signifient la même chose. Les deux figurent sur une carte étroite et haute qui nous présente en quelques mots la Sicile et la Sardaigne, deux îles où se fait encore sentir l’influence arabe. En termes de cuisine, on pense tout de suite au girofle, à la cannelle, aux dattes et au sésame en parcourant les propositions de la table d’hôte. La Lombardie sera à l’honneur dès demain, bientôt suivie par la Vénitie… Pour le moment, il y a tout d’abord la soupe des insulaires, le couscous froid aux petites crevettes, l’insalata al arancia (la salade d’orange, bien sûr), le bonbon croustillant au fromage de chèvre et noix… Ah, que ça fait du bien de tomber sur une carte qui ne soit pas bourrée de fautes! Mon amie en pense autant de l’autre carte, la grande, où, par exemple, on a eu la politesse de bien écrire "prosciutto" et "bruschetta", nous épargnant quelques-unes de ces fantaisies orthographiques qui vous boycottent l’optimisme. J’ai donc confiance en l’avenir immédiat, celui qui prend les noms de pizza giardiniera au crotonese (fromage de lait de brebis), de penne aux aubergines grillées, de risotto aux légumes méditerranéens, de feuilleté de saumon au sésame (sauce au safran)… Bien que la faim nous soit une compagne fidèle, mon amie se fait servir un apéro. Je m’apprête à trinquer à l’eau, me ravise et commande un verre de vin. Nous nous accordons quelques minutes pour découvrir le décor, assez sobre, les reproductions accrochées aux murs, les troncs de colonnes cannelés couleur d’or, les miroirs circulaires éclairés en retrait. Nous avons pu trouver place presque au milieu de la pièce, un peu loin des vitrages donnant vue sur Cartier et Aberdeen. Nous nous trouvons plutôt au coeur de l’action, car la salle se remplit à vue d’oeil. Le service s’accélère en conséquence et reste malgré tout d’une rare gentillesse, d’une extrême prévenance. Derrière moi, quatre hommes discutent avec gravité de l’ouverture prochaine d’un resto. D’autres clients, d’autres clientes prennent la vie du bon côté, bavardent, rient, s’exclament à la vue des bruschettas (ou bruschette) au bleu ou des fettucine al’ uovo au crabe – "basilic frais, fondue de tomate et parfum de badiane", précise la table d’hôte. Sur la banquette centrale, un jeune couple, ému, trinque au ralenti et tarde à manger. Il en va tout autrement pour nous, car j’ai déjà entamé ma soupe des insulaires – aux tomates, lentilles, coriandre et cumin. Le goût de ce dernier domine, mais sans excès. Par contre, une pincée de sel s’impose d’urgence. Voilà. Alors, mes papilles frétillent d’aise. Mon amie, elle, se montre perplexe. Ce qui ne va pas? "Il n’y a pas de crevettes!" Surprenant, n’est-ce pas? quand votre entrée a pour nom "couscous froid aux petites crevettes". Notre serveuse, d’abord confuse, choisit d’en rire avec nous. L’assiette revient peu après, différemment dressée et, cette fois, complète. "C’est très bon", précise ma compagne en m’offrant d’y goûter. Une bouchée, et je fais mien son avis. En attendant la suite, elle sirote son vin rouge; j’ai terminé mon verre de blanc. Les penne sentent bon quand on les dépose devant elle; ils continuent de sentir bon pendant tout le repas. Ils sont accommodés d’aubergines grillées, de pignons et de champignons; on a semé dessus, à la cuiller, du parmesan frais râpé. En bouche, les saveurs s’amusent, dirait-on, vous titillent ici ou là et vous taquinent les muscles du sourire. J’ai droit, pour ma part, à de délicieuses pâtes au beurre garnies d’une sauce tomatée bien assaisonnée. Tout cela sert d’accompagnement à une imposante escalope de veau au beurre de pistaches. Ce plat me "perplexifie", comme disait un de mes amis. Le beurre de pistaches s’avère excellent, on en mangerait à la louche, mais il n’y en a évidemment pas assez pour cela. Par contre, bien que très (trop) citronnée, la viande demeure fade. Une pincée de sel s’impose encore une fois, mais elle ne règle pas tout. En combinant les différents éléments de l’assiette, je me compose des bouchées complexes où s’établirait une sorte de… moyenne. Mais les goûts continuent de faire chambre à part, si je puis dire. Il me vient alors une de ces réflexions cocasses qui amusent parfois ma compagne: "J’ai l’impression de manger du paradoxe!" Alors qu’un air de salsa se mêle à la rumeur ambiante, mon invitée termine sur une note tout aussi tropicale, soit un "entremets chocolat et mangue".
Ristorante Momento
1144, avenue Cartier
Québec (Québec)
Tél.: (418) 647-1313
et
2480, chemin Sainte-Foy
Sainte-Foy (Québec)
Tél.: (418) 652-2480
Table d’hôte: 13,95 à 23,95 $
Souper pour deux (incluant boissons et taxes): 68,90 $