Restos / Bars

Les Deux Chefs : Maître dans sa maison

Depuis l’été dernier, Lise et Frank Uller, Les Deux Chefs, ont installé leurs pénates rue Masson, devant la seule église Art déco en ville, l’une des rares au monde en fait.

À mesure que le Plateau se remplit d’un côté, il se libère de l’autre. Les prix augmentent, les taxes aussi. Le bruit, la circulation et le manque de stationnement seraient responsables du début d’une passagère hémorragie dont bénéficieront les quartiers limitrophes. Cela profitera aussi aux restaurants qui n’auraient jamais osé s’installer si loin du coeur branché de la ville.

Ça bouge donc du côté de Villeray, de la Petite Italie et du Vieux Rosemont: les extensions "naturelles" d’un Plateau engorgé. Depuis l’été dernier, Lise et Bernard Uffer, Les Deux Chefs, ont installé leurs pénates rue Masson, devant la seule église Art déco en ville, l’une des rares au monde en fait. Mais leur tout petit réduit, de la taille d’un mouchoir de poche, n’offre qu’une table "avec vue". Les neuf autres s’alignent dans un espace restreint, de la taille, à peine, d’une chambrette, décorée cependant avec beaucoup d’idées, de bibelots de toutes sortes, de miroirs, de lumignons de Noël et de cadres démodés. Effet convivial garanti. Comment, dans ce lieu pour poupées, arrivent-ils à produire une cuisine aussi soignée et travaillée? Le mystère reste entier. Surtout que monsieur Bernard, Américain d’origine bolivienne et d’ascendance allemande, doit être habitué aux grands espaces. On l’aperçoit qui s’agite avec aplomb derrière ses fourneaux, caché sous une montagne de marmites et de poêlons.

Sa carte propose en tout cinq plats, et à peine plus d’entrées, trois desserts à chaque soir, et une carte des vins aussi modeste que l’espace. On n’offre pas de formule table d’hôte le soir, mais, le midi, un petit menu plus simple permet de manger des grillades ou des sandwiches à moindres coûts. Devant un tel menu, on se rend compte que le chef navigue entre deux eaux, mêlant de solides fondations techniques aux influences de goût les plus insolites: ici du maïs qui traduit le sud américain (la Floride, où le chef a vécu) et là, l’utilisation de la salsa en condiment, élément prépondérant dans les cuisines latino. En entrée, on nous sert un savoureux feuilleté de champignons, accompagné d’aubergines et de fromage, et joliment présenté dans une assiette orientale, le tout nappé de coulis de poivrons rouges. Malheureusement, la pâte n’a plus beaucoup de feuilleté, un passage au frigo ou au micro lui aura neutralisé le croustillant. Avec la terrine de gibier coupée en pointe, on sert une salsa "tomatée", aux concombre, maïs et petits oignons, un contraste rafraîchissant avec cette viande au goût tonique. L’assiette comprend aussi un concombre évidé, rempli de pointes d’asperges et de carottes en julienne, à peine sautées. En plat, le porc en côtelettes, poêlé, se présente sans os, déposé sur une excellente purée de pommes de terre relevée d’une pointe d’estragon et servie avec une sauce au porto (presque un jus), qui mêle cependant des morceaux de tomates, d’oignons et de poivrons. L’effet de la purée et de la sauce au porto est saisissant, grâce à des notes vanillées et herbacées. Le filet de sole, fariné et poêlé au beurre, englouti sous un ragoût de légumes mouillé au vin blanc qui lui sert de sauce, est un plat moins attirant, la chair du poisson étant un peu flasque et fade. Cependant, la sauce vigoureuse, les légumes croquants et effilés comme des allumettes, et les pâtes en ruban qui l’accompagnent compensent en goût ce qui manque de texture. Des trois desserts, nous choisissons un gâteau au chocolat sans farine, généreux et pas trop sucré, et le strudel aux pommes, sirupeux et au goût légèrement vanillé, qui serait parfait si ce n’était du feuilleté, encore là un peu trop détrempé.

Sympathique petit resto de quartier qui mêle adroitement le luxe et l’ordinaire, nos Deux Chefs proposent une cuisine beaucoup plus sage qu’il n’y paraît, mais attentive aussi bien au goût et à l’assaisonnement qu’à la présentation, très américaine du reste. Quant au service, souriant et efficace, il apporte un supplément d’âme. Pour deux personnes, avec les taxes et le service mais avant le vin, comptez un peu plus de 60 $.

Les Deux Chefs
2876, rue Masson
725-2015

Amuse-gueule:
Le plus récent cru du Larousse Gastronomique, placé sous la présidence de monsieur Robuchon, l’un des génies absolus de la cuisine de cette fin de siècle, a été publié il y a quatre ans déjà. Malheureusement, ce n’est pas le genre de livre qu’on feuillette impunément avant de s’endormir ou dans son bain. Car un grimoire de douze cents pages, ça pèse lourd dans les mains et ça flotte assez mal. Larousse vient de republier cette bible indispensable en format poche (ou presque…). Avantage: présenté en trois volumes insérés dans un cartable rigide, c’est une solution économique et moderne au manque de place… et de vigueur. S’il est un Larousse indispensable, c’est bien celui-ci. Et puis, en format de poche, ça coûte quand même sacrément moins cher.