Restos / Bars

La Grande Brasserie : Brassé à la main

Fermez les yeux. Vous voici transporté dans l’atmosphère élégante d’une grande brasserie de luxe du Paris des années trente. Du moins en esprit.

Fermez les yeux. Vous voici transporté dans l’atmosphère élégante d’une grande brasserie de luxe du Paris des années trente. Du moins en esprit. À cette époque où les plats n’avaient rien de révolutionnaire et surtout rien de précieux et se laissaient manger avec un réel bonheur. La cuisine riche mais sans émotion et techniquement irréprochable du chef Stéphane Gomard ne bouleverse aucune habitude. C’est ce que l’on pourrait appeler un chef sans histoire, sérieux et discret, à l’aise dans le répertoire bourgeois classique; bref, un chef qui rassure en faisant du bon.

Le décor streamline somptueux de La Grande Brasserie évoque celui du film Scarface, les mafiosi en moins. On y mange à l’étage avec des mines de conspirateurs; ou encore sur de longues banquettes confortables dans l’une des deux salles, séparées par un muret sur lequel on a placé d’immenses vases remplis de fleurs fraîches. Au-dessus de la porte d’entrée, une fresque ferroviaire évoque l’âge des voyages en train, cette ère de prospérité où tout restait à faire et où tout semblait encore possible. C’est le genre d’endroit qui plaira à tous les romantiques qui se remémorent les grandes institutions parisiennes de ce type – Flo, Bofinger, Lipp, la Brasserie Universelle – associées aussi bien à Jean Gabin qu’à Al Pacino. Belle réussite qui risque de devenir le chouchou B.C.B.G. des affaires, de la politique et du multimédia.

Par ailleurs, la brasserie, popularisée à Paris par les réfugiés d’Alsace-Lorraine après la guerre de 1870, existe en France depuis le milieu du XVIe siècle, et c’est l’une des plus anciennes formes de restauration publique. On y proposait de la bière, bien entendu, mais aussi la grande spécialité alsacienne: la choucroute. On fait aussi cela à La Grande Brasserie. Ajoutez-y tous les classiques d’une certaine cuisine bourgeoise française et vous avez le topo. Sans jamais atteindre les sommets, cette cuisine est suffisamment exquise pour que l’endroit soit plein le midi.

Une table d’hôte proposée midi et soir, aux mêmes prix (une rareté à Montréal), offre le potage ou la salade, les deux préparés avec soin, et un choix intéressant parmi des grillades, un poisson frais du jour ou un plat de choucroute. On trouve un réel souci d’application dans la présentation d’un plateau d’huîtres à peine trépassées et bien iodées, encore pleines d’eau de mer. On les garantit capables de ranimer l’indolence de l’impuissant. La petite bête est présentée avec une feuille de coriandre, ce qui n’est pas vain. Mettre juste un peu de ce feuillage sur le mollusque avant de l’avaler, puis une goutte de jus de citron, est une expérience revitalisante. Le potage aux betteraves montre que le chef n’a pas peur de s’attaquer aux légumes ingrats. Terreux, mais assaisonné avec précision, ce potage plein de saveurs a une texture onctueuse. La choucroute "du jour" serait l’alsacienne, nous affirme un serveur complètement à côté de ses pompes, à qui il a fallu demander deux fois le nom du chef, et qui ne parvenait pas à nous expliquer quoi que ce soit qui ne fût inscrit sur la petite feuille qu’il traînait avec lui. Saucisse de Morteau (annonce-t-on), bon morceau de poitrine de porc fumée, succulentes dans les deux cas, et deux saucisses de type boudin blanc: ces viandes conviennent bien au plat. Deux pommes de terre accompagnent aussi, comme c’est la tradition, cette choucroute garnie. Le chou est bien mariné et assaisonné avec des baies de genièvre, ce qui en facilite et l’ingestion et la digestion. Le foie de veau avait un parfum prononcé qui ne plaira pas à ceux qui ont de la difficulté avec l’arrière-goût ferrugineux des abats. Nous le trouvons d’une cuisson impeccable, et il est nappé d’une réduction au vinaigre de framboise – très années 80 du reste – et accompagné d’un hachis de courge spaghetti, cuite à la vapeur, qui émergera d’une fadeur certaine à l’aide d’une cuillerée de moutarde forte, et d’une sorte de croquette de pommes de terre délicieuse. Des légumes sautés – des carottes et des pois mange-tout – complètent cette assiette copieuse.

Le chou à la crème excellent ne dément pas l’orientation vaguement nostalgique de cette courte carte, un menu inspiré et alléchant.

Bien que le service n’ait aucun air prétentieux, il oublie et semble égaré par l’immensité de la tâche. Heureusement, il est courtois. Parions qu’avec une cuisine comme celle-là, à des prix plus que raisonnables, et ce décor viril, parmi les plus beaux en ville, on pardonnera l’inefficacité du service et la trop modeste carte des vins, constituée de lieux communs et d’un seul choix au verre, un pinard d’épicerie! Comptez 80 $ pour deux, le service, les taxes et deux verres du vin en question.

La Grande Brasserie
997, rue Saint-Jacques Ouest
875-7011