Attendez! Regardez bien l’adresse. Au-delà du quartier branché, pas encore dans le quartier italien, dans ce bout du Mile-End qui eut jadis une courte mais intense vie nocturne. Seuls les habitués s’y hasardent dorénavant. Depuis que le Lux a rendu l’âme, le quartier a perdu la sienne. Oserait-on proposer d’y manger qu’on soulèverait les sourcils. Personne n’aime les faubourgs somnolents.
C’est pourtant ici qu’ont choisi de s’installer trois jeunes hommes d’une même famille d’origine romaine, dont le patriarche était le maître d’oeuvre de la Trattoria Trastevere, un de nos rares classiques du centre-ville. Ce restaurant Da Attilio pourrait bien être le bijou du Mile-End, d’autant que l’endroit a déjà abrité le mythique Citrus, il y a vingt ans. Le temps passe. De cette époque, plus une trace. L’intérieur, décoré avec sobriété, comme un restaurant chic de la péninsule italienne, et mis en évidence par des nappes blanches immaculées, des fleurs coupées et un certain souci "baroque", reste néanmoins un peu sévère. Cela ne discrédite pas une cuisine aux idées fraîches, au style net et précis, ainsi qu’un accueil d’une parfaite courtoisie. Pour les italophiles que nous sommes devenus, affamés de bons mais, surtout, d’authentiques restos italiens où les sauces ne sont pas apprêtées aux bleuets, où les assiettes ne ressemblent pas à la tour Eiffel et où les prix ne sont pas gonflés, l’endroit est une bénédiction.
Revenons à la cuisine. Le chef montre qu’il a assimilé des leçons importantes de son passage à la Trattoria Trastevere, car les grillades sont rapides et chaudes, les champignons, sauvages et l’huile, extra-vierge. Une cuisine de ce type en est une de l’instant. Son charme est instantané, les saveurs, fraîches, complètes, réelles, parce que les sauces sont faites à la minute. Les sauces classiques, longuement réduites, sont absentes du répertoire de Da Attilio.
En entrée, le carpaccio di manzo à l’huile de truffes: des tranches de boeuf cru minces et taillées à la main, plutôt que congelées et passées au hachoir, sont simplement déposées sur quelques feuilles de radicchio et nappées d’une émulsion légèrement parfumée afin que le goût de la viande ne soit pas anéanti par celui de la truffe. Le mozzarella in carrozza (en carrosse, donc), une spécialité napolitaine de fromage sur un bout de pain, pané puis frit, normalement servi brûlant et sans sauce, est ici recouvert d’une réduction de vin blanc, d’un peu de fond, et d’anchois écrasés. Assez original et étonnant pour ceux que le mélange poisson et fromage n’effraie pas. Proposée à la table d’hôte entre l’entrée et le plat, la salade verte est faite d’un panaché de laitues douces et amères, et nappée d’une bonne vinaigrette. En plat, le petto di pollo a la buongustaio, une invention inspirée de la cuisine piémontaise, donc un peu française, est sérieux et parfaitement maîtrisé. Le suprême de volaille est poêlé et accompagné d’une excellente sauce à base d’un jus dense parfaitement assaisonné et de champignons frais, une sauce ayant beaucoup de goût, qu’un peu d’échalotes et de persil haché viennent charpenter. Avec une tomate fraîche grillée, des épinards étuvés, mais bien salés et poivrés, et quelques pommes de terre frites dans le style pont-neuf en plus croustillantes et saupoudrées de romarin – le drapeau italien presque -, ce plat montre de grandes qualités. Du côté des pâtes, les fettucinis portent le titre al tesoro, sautés avec des tomates fraîches et séchées, des câpres, du persil et des échalotes; la quintessence en quelque sorte de la cuisine italienne bien faite, pleine de goût, évocatrice de soleil.
On apporte une part de pannetone (Noël n’est pas bien loin), une réjouissante brioche commerciale, fourrée d’une crème à l’amande et recouverte de chocolat, agrémentée de quelques clémentines et de noix de Grenoble qu’on doit fracasser soi-même avec le casse-noisettes qui les accompagne. Mais le patron nous propose aussi un zabaglione qui sera fait à la minute avec du Marsala et un peu de Grand Marnier, histoire de montrer qu’on peut très bien improviser dans un resto italien. Ça nous change du tiramisu dont il n’y a pas de traces sur le menu. Le zabaglione est onctueux, à mourir sur place et à ressusciter ensuite pour une autre bouchée. J’adore ce dessert encore chaud, à mi-chemin entre une sauce et une mousse.
Da Attilio prépare donc la cuisine italienne comme elle devrait toujours être conçue: simplement, avec un grand respect pour les produits de base. Ajoutons à cela quelques bons choix de vins, à prix raisonnables, un accueil et un service professionnels et vous comprendrez mon faible pour cette jeune maison d’à peine sept mois, mais qui fait déjà parler.
Comptez entre 25 et 30 $ pour la formule table d’hôte, incluant le dessert et le café. Vous devriez donc vous en tirer pour un peu moins de 70 $ à deux, avec les taxes et le service, mais avant le vin.
Da Attilio
5282, boulevard Saint-Laurent
Tél.: 274-8447