Isakaya est un restaurant plutôt modeste et convivial, assez, du moins, pour inciter l’échange entre les clients. Ce qui n’est pas plus mal, on s’aperçoit, dès le premier coup d’oeil, qu’il ne s’agit pas d’un resto japonais ordinaire. Ici, pas de shojis, ni de tatamis, ni même de lanternes en papier, mais plusieurs tables pas très grandes et un peu serrées. Le décor pourrait être celui d’une gargote de quartier, si ce n’était du bar orné de longues bannières rouges calligraphiées d’idéogrammes. Dans ce mini-empire du Milieu, entre le fracas du boulevard Saint-Laurent et celui du centre-ville, on découvre un parfum de cour nippone retouchée par la banlieue.
Premier constat: le kimono ne fait pas le bonze zen. Second constat: les sushis n’occupent pas une place capitale au menu. On oublie souvent que la cuisine japonaise ne se limite pas aux bouchées de poisson cru et qu’il y a au Japon, comme ailleurs en Asie, des dizaines de façons de se nourrir. Troisième constat: cette cuisine ne goûte pas le Japon orthodoxe. Le mystère vient d’ailleurs.
Cela dit, plus discret que le chef-propriétaire Shigé Minagawa, tu meurs. Peut-être que le fait d’avoir été derrière les fourneaux du Katsura, ce temple de la gastronomie nippone traditionnelle, y est pour quelque chose. Car les Japonais élèvent au rang de hautes vertus le silence, la discrétion et la pudeur devant toute chose. Mais le patron a fait davantage que rouler le riz dans les feuilles d’algues: il propose chez lui une cuisine presque hybride qui mêle sobrement des notes françaises – vous avez bien lu. Et pourquoi pas? Après tout, les Français, eux, s’inspirent bien de l’esthétique japonaise. Le contraire devrait-il tant surprendre?
Pourtant, on n’échappe pas aux grands principes de la cuisine japonaise chez Isakaya: des soupes, des poissons crus, des plats de grillades, des agemonos (la friture) et des nimonos (des plats mijotés), mais tous sont repensés sous un angle nouveau. C’est que le patron compte plusieurs amis chefs (James McGuire du Passe-Partout, Laprise du Toqué! et Marc DeCanck de La Chronique), chez qui il a appris les secrets des sauces émulsionnées au beurre et les vertus de l’huile d’olive. Impensable dans une gastronomie traditionnelle japonaise.
Entre un pâté de foie de lotte, des maquereaux marinés en sashimis et des huîtres panées et frites, les propositions de la carte sont affriolantes et insolites. La crêpe japonaise à la pieuvre, par exemple, se distingue de la coréenne par l’absence d’échalotes et la délicate sensualité de la préparation. On ne devine la bête que si on lit attentivement la description du plat. La crêpe est savoureuse et mêle les morceaux de chair blanche à une pâte aérienne. Saupoudrée de flocons de thon séché, qui frémissent doucement sous l’effet du moindre déplacement d’air tellement ils sont légers, cette préparation étonne. Au premier regard, on dirait qu’il y a quelque chose de vivant dans l’assiette. Des calmars, rôtis plutôt que frits – la chaleur les ayant légèrement desséchés -, puis arrosés à la toute dernière minute d’une sauce de soja adoucie mystérieusement d’huile d’olive, n’ont rien de coriace. Les chairs sont fondantes et néanmoins un peu cramées. Un contraste provocateur entre le cru et le cuit. En plat, difficile de faire son choix entre le bar rayé sauvage, les pétoncles frais juste saisis et le mérou poché à la vapeur de gingembre proposés au tableau "vert". Nous optons pour une morue noire d’Alaska, marinée dans le miso blanc et rôtie sur toutes ses faces avec une maîtrise remarquable, et un loup de mer absolument succulent, traité de manière différente, cuit à l’unilatérale sur une seule face. Le chef insiste pour présenter les poissons avec des carottes, du brocoli et du chou-fleur pochés, un lapsus technique selon moi, considérant le répertoire légumier du marché. En effet, au Japon, le poisson grillé est toujours servi seul, la belle faïence de couleur lui servant d’ornementation. Malgré cela, le riz collant est présenté dans un bol à part. Tous les plats sont précédés d’une soupe au miso et d’une salade verte nappée d’une émulsion rafraîchissante au sésame et à l’huile d’olive. Côté douceurs, rien d’inédit dans ces glaces au thé vert ou aux haricots azuki, mais un étonnant beignet fait d’une pâte de riz élastique et fourré d’une purée sucrée de haricots et d’une fraise fraîche.
Cela ne devrait surprendre personne que certains des meilleurs chefs de la ville viennent parfois goûter la cuisine de monsieur Shigé, histoire de se rafraîchir les idées. Car ici, les idées justement fusent. Pour arroser toutes ces merveilles de la mer, on trouve quelques crus à prix d’ami sur une carte des vins modeste ou encore du saké, ce qui vous mettra dans l’ambiance si vous en prenez suffisamment. Attention, c’est chaud, comme dirait l’autre! Le service est assuré par de jolies demoiselles affables, qui en arrachent parfois avec la conjugaison française, mais parfaitement capables de vous désarçonner par le plus beau des sourires et la plus courtoise des excuses. Comptez environ 70 $ pour deux repas, les taxes, le service et deux bières Sapporo dans leur élégante canette argentée.
Isakaya
3469, avenue du Parc
Tél.: 845-8226