Restos / Bars

Lucca : Nourriture de l'âme

La mode, encore elle, nous habitue à supporter sa démesure et, ce qui est pire, ses clichés. En cuisine, c’est la même chose, on a parfois l’impression de manger une cuisine muette: rien qui ne nous parle, ni les ingrédients ni le tempérament du chef, et encore moins celui du resto. Pire encore, on nous fait payer des additions de maharajah pour des plats de  domestiques.

La mode, encore elle, nous habitue à supporter sa démesure et, ce qui est pire, ses clichés. En cuisine, c’est la même chose, on a parfois l’impression de manger une cuisine muette: rien qui ne nous parle, ni les ingrédients ni le tempérament du chef, et encore moins celui du resto. Pire encore, on nous fait payer des additions de maharajah pour des plats de domestiques. Prenez la cuisine italienne, partout à la mode en Occident comme en Orient, de Montréal à Paris à San Francisco. Tout le monde l’aime. Mais peu de gens la font selon les règles, et ça donne des restos dont les noms à syllabes "punchées" (et qui n’ont souvent aucun sens) ont été dénichés dans des dictionnaires. Cette cuisine-là, souvent convertie à l’urbanité aseptisée, a pourtant des racines dans la campagne. Une cuisine autrefois simple et goûteuse, vite métamorphosée en gastronomie fade et archi-compliquée. À quelques exceptions près. En voici une: Lucca. Comme le nom de la jolie ville toscane, patrie de la meilleure huile d’olive d’Italie et d’une cuisine unique et raffinée basée sur les grillades. On dit d’ailleurs des Toscans qu’ils sont les plus habiles grilleurs de viande de tout le continent. Il n’y a pourtant rien de fortuit dans le choix de ce nom. La cuisine de ce charmant et très élégant bistro de la Petite Italie, qui se cherchait encore une identité l’an dernier, a trouvé un puissant second souffle. Nappes blanches sur les grandes tables, grand bar, fleurs fraîches, beaucoup de marbre et de bois en salle et jusque dans la salle de bains, si agréable qu’on y passerait quelque temps à méditer. L’endroit est tout simplement ravissant. Et, bien que les patrons de Lucca ne soient pas toscans, on devine qu’ils se sont inspirés de la cuisine. Au menu inscrit au tableau noir, on propose des plats avec, en filigrane, le terroir du Nord de l’Italie, mais présentés avec finesse et consciencieusement exécutés. On bat la campagne et la ville à la recherche de produits de grande qualité, des produits qui volent aux prés, à la mer et aux bois leurs meilleures saveurs. Il en résulte une cuisine d’un répertoire pourtant classique, mais qui ne ressemble à aucune autre. Le chef ne ménage pas les efforts pour nous donner une assiette de calmars frits d’une exquise légèreté. Simplement saupoudrés de farine plutôt que trempés dans un bain de pâte, les petits disques de chair fondantes d’un animal d’une variété thaïe (le patron nous dit qu’il en a essayé quinze sortes avant de choisir celle-là) sont plongés dans la friture quelques instants avant d’atterrir devant nous. Servis avec une sauce tomatée, aillée et relevée d’une pointe de piment, un élément inusité dans ce genre de cuisine, ce sont les meilleurs que j’aie goûtés depuis longtemps. Ce qui me fait penser qu’il faut une sacrée technique pour réussir un plat aussi simple mais qui demande une maîtrise parfaite de la friture. En plein hiver, manger de la salade a quelque chose d’ironique. Comme si on tentait de faire un pied de nez aux saisons. Pourtant, la roquette poivrée a beaucoup plus de goût en cette saison. On la présente ici nappée d’une excellente huile d’olive bien piquante, de copeaux de parmesan fraîchement raclés. L’effet est comme une overdose de chlorophylle. Dans le risotto aux truffes noires (sans doute provenant des Marches ou d’Ombrie) et au parmigiano-reggiano, onctueux, que le chef réussit avec une rare perfection, se trouve incarnée toute la vertu de la cuisine italienne moderne: le goût franc, le dépouillement et la grande qualité des produits. Or, ce plat qui doit hésiter entre la soupe et le pilaf doit toujours être un peu liquide. Avant de servir, on ajoute quelques copeaux de truffes fraîches – surprise – qui ont et le parfum et le goût d’une truffe de qualité. Surtout quand on sait que ce n’est pas toujours le cas ailleurs, et que l’odeur de notre risotto fait tourner les têtes des voisins et les encouragent à nous imiter. En plat, nous choisissons une côte de veau charnue, parfaitement saisie sur le grill, encore rosée à l’os et servie sur de la polenta, que le chef a cuisinée avec de la crème. Ce n’est pas un péché dans la gastronomie francophile de l’Émilie-Romagne, bien au contraire. Et le résultat parle de lui-même, avec cette odeur de beurre frais et ce goût remarquable, chaque grain de maïs fondu et onctueusement intégré au magma et si éloigné des préparations gluantes et grumeleuses qui nous font parfois détester la polenta. Celle du chef est des plus veloutées, coiffée d’épinards juste sautés au beurre et à l’huile d’olive et bien salés. En finale, le tiramisu, qui d’ordinaire m’ennuie, est riche, suave, et techniquement parfait. Alors, ne laissez plus cette adresse vous passer sous le nez. Faites escale dans cette petite maison de quartier qui tient ses promesses. Une carte des vins attrayante et un personnel aux petits soins complètent le programme. L’addition ne sera pas celle d’un bistro cependant, les plats étant facturés autour de 25 $ et les entrées à 10 $, mais chacun en vaut largement le prix. Le midi, la formule table d’hôte proposée fait chuter les prix de moitié. Comptez autour de 85 $ le soir et 46 $ le midi pour deux repas exquis, avec les taxes et le service, avant le vin.

Lucca

12, rue Dante

Tél.: 278-6502