Tout le monde sait que le goût peut soulever une réponse émotive. C’est une puissante machine à remonter le temps, qui va jusqu’à évoquer l’enfance et même l’amour inconditionnel, un coup parti. C’est un peu la même chose qui se produit dans un restaurant dont le souvenir est comme un album de photographies. Les goûts de certains plats rappellent avec une précision presque diabolique les circonstances d’un repas et même les gens avec lesquels on a dîné. Jusqu’aux conversations, évoquées par un fumet particulier ou une épice spécifique. Ainsi, la cuisine indienne réveille chez moi l’adolescence, le voyage, la liberté et la découverte du monde. Pas étonnant qu’à Montréal, je reste presque toujours sur mon appétit.
Prenez le restaurant La Maison India, dont le prédécesseur s’appelait Mogol ou quelque chose du genre. D’accord, on a rénové d’un bout à l’autre, repeint, installé des petites lumières de Noël un peu partout – c’est très indien ça, ne riez pas – acheté de nouveaux couverts de qualité, de la belle faïence. Mais cette métamorphose cosmétique ne cache pas complètement la coquetterie folklorique orientale habituelle. On a l’impression d’être dans l’ancien resto dont seul le nom a changé.
Le menu est virtuellement identique et la qualité de la cuisine – fort honorable, du reste – est restée rigoureusement comparable à une nourriture de série. C’est que, comme la plupart des restaurants indiens de Montréal, cette Maison India est sous administration bangladaise. Cela signifie que les formidables différences régionales dans les cuisines indiennes sont ignorées à la faveur d’une pseudo cuisine du Nord-Ouest et qu’ainsi, les menus présentent un assortiment de plats clichés. Comme si les restos français devaient tous proposer la soupe à l’oignon gratinée, l’entrecôte frites, et la crème caramel. En outre, les spécialités du Bengladesh sont carrément absentes: aucune trace des spécialités de poissons d’eau douce pour lesquelles cette partie du sous-continent est reconnue, triste sort dans un pays où le poisson reste un symbole de fertilité.
Quoi qu’il en soit, on ne peut reprocher la confection minutieuse et fraîche des plats proposés, aussi communs soient-ils. L’une des qualités de ce restaurant reste la délicatesse des sauces et des assaisonnements, appuyées par des présentations plus sophistiquées qu’ailleurs. Néanmoins, cela ne nous fera pas découvrir grand-chose et ne mettra pas nos papilles et nos esprits à l’épreuve, les plats réputés "chauds" dévoilent à peine quelques griffes pimentées.
Le biryani de légumes préparé à la minute est mêlé à des noix de cajou, à des raisins et à quelques filaments de safran (et non pas de curcuma), et échappe ainsi à la fadeur. Autour d’un agneau bhoona appétissant – désignation pour une technique de cuisson par laquelle les épices moulues sont préalablement sautées afin que les huiles essentielles s’échappent dans le liquide de cuisson – et d’un canard dansak – autre technique, mais d’origine perse, où les viandes sont cuites lentement avec des lentilles – nous choisissons des plats d’une carte divisée par types de cuisson (bhoona, dansak, korma, tandoori, jalfresi) plutôt que par aliments. Un dhal classique, onctueux et bien parfumé mais sans accents de piment, n’a pas ce "oumpf!", qui est comme un encens de la bouche. Le vindaloo de boeuf, réputé décapant, démange à peine la langue. Les pains sont un peu humides, un nan plutôt bon et un chappati, copie conforme d’un nan avec oignons ce soir-là, sont autant d’indices qu’ici, on veut initier sans surprendre, sans causer de tremblements de terre gustatifs. Ce n’est pas une faute grave, mais des dizaines de restaurants indiens font exactement cela. Un de plus, un de moins. Cependant, je ne sais pas si cela enrichira vraiment le paysage exotique de notre ville, surtout lorsque l’on sait que presque toutes les ethnies principales du sous-continent sont représentées et que nous trouvons inlassablement le même genre de cuisine. Pour trois personnes, comptez tout de même 75 $ avant les taxes et le service, comme toujours, fait presque exclusivement dans la langue de Mordecai!
La Maison India
5868, rue Sherbrooke Ouest
Tél.: 485-2122
Café Électra
Suivez-nous bien. À deux pas de la branchitude du boulevard Saint-Laurent, un café de quartier des plus sympathiques offre toute la gamme des cafés à l’italienne et un excellent gâteau crémeux et parfumé à la pâte d’amandes, d’origine sicilienne. Il y a aussi les panini au rôti de boeuf, à la pancetta, au prosciutto, au jambon d’ici, avec ou sans fromage, et garnis de tranches d’aubergine marinées, ainsi que des pizzas délicieuses; et beaucoup de caractère, comme dans les cafés étudiants d’autrefois, la fumée de cigarettes en moins et la musique de qualité en plus. L’un des endroits les plus intéressants, devenu un peu le quartier général d’intellectuels qui ont du goût et peu de patience pour les cafés de chaînes qui pullulent tout autour.
Café Électra
24, avenue des Pins Est
Tél.: 288-0853