Si tout le laisse croire, le nom du resto, qui évoque une lente danse espagnole, le type de cuisine annoncée – mexicaine -, le restaurant Fandango, ouvert depuis quelques mois à peine, n’est pas à proprement parler un resto ethnique. Ce serait davantage un néo-ethnique, le genre de resto où les colifichets exotiques sont complètement absents et où le chef est d’une nationalité, et sa cuisine, d’une autre.
En tout cas, s’attabler ici, c’est découvrir que la gastronomie mexicaine peut être repensée et devenir une cuisine d’auteur avec un souci du détail surprenant; et, qu’en outre, elle ne se limite pas aux tacos adipeux remplis de mayo Kraft. Car le Mexique est réellement une patrie gastronomique, à mon avis la plus importante de tout le continent. Et la mexicaine, qui a donné à la culture mondiale la vanille, la tomate, la grande famille des piments – forts et doux – le maïs, et des dizaines d’autres produits indigènes, ne peut plus être classée au rang des cuisines insignifiantes du reste de l’Amérique, souvent limitées aux haricots noirs et au riz. Pour s’en convaincre, on n’a qu’à jeter un petit coup d’oeil sur ce que ce pays a inspiré à Ward Deal, un Américain de l’Illinois qui a pratiquement grandi au Mexique et qui s’est installé ici avec son épouse québécoise, elle-même diplômée du CIA, non pas en espionnage, mais en pâtisserie.
D’abord, le Fandango est accueillant. On vous reçoit gentiment, avec des manières, et, surtout, avec le sourire. La clientèle est tranquille, calme; de plus, la musique de qualité contribue à l’effet apaisant de ce beau décor tout simple, où tous les murs peints d’une couleur chaude – celle d’un fruit mûr – sont ornés de belles photographies en noir et blanc du Mexique qu’on prend plaisir à découvrir tout au long de la soirée. Le reste du décor se compose des tables nappées de blanc, et c’est tout. Et puis, les grandes fenêtres qui s’ouvrent sur la petite place Roy nous promettent de belles soirées estivales; en attendant, on peut compter sur le léger mordant des plats du chef pour la nostalgie.
Sa carte se compose de plats percutants et magnifiquement justes, des classiques comme le guacamole servi dans de jolies terrines en terre cuite, des quesadillas ou des tostadas farcies de tout ce qu’on aime de ce genre de "grignotis", du fromage doux, de la purée de haricots noirs fraîchement cuits, différents types de salsa, des chilis en proportions intelligemment pensées, non pas pour faire souffrir (ou suer, ce qui revient au même), mais pour stériliser et engourdir la langue, juste un peu quoi!
Pour combattre l’humide soirée d’hiver, il convient mieux de choisir une sopa de tortilla, un plat qu’on trouve souvent au centre du pays, faite d’un bouillon de volaille léger et bien assaisonné de coriandre fraîche, dans lequel flottent des quartiers d’avocats, des chiles pasilla frits et émiettés et curieusement des morceaux de fromage doux. Juste avant de servir, on pulvérise des morceaux de tortilla craquante et l’on arrose de citron vert. Ce plat est non seulement thérapeutique, mais il colle bien à nos temps frileux, il est aussi fait avec soin et minutie. La sopa de habas, absolument succulente, est un velouté contenant des gourganes séchées et cuites dans un bouillon avec des tomates et de la coriandre fraîche.
En plat, nous avons choisi des crevettes sautées avec des piments chipotle, une variété séchée et fumée du piment jalapeno, à la coloration rousse et au goût insolite, qui évoque un peu le chocolat et la noix, et confère une chaleur subtile, mais soutenue, aux aliments avec lesquels il est utilisé. C’est l’aristocrate des piments mexicains. Les crevettes sont fondantes et trouvent dans le piquant un complément sophistiqué. Le magret de canard est poêlé et servi en éventail, comme le feraient les Français; mais assaisonné avec des piments doux et des pistaches dans la sauce, c’est une version qui évite la routine des sauces trop sucrées. Les plats s’accompagnent de riz ou de légumes bien travaillés, et même le triste chou-fleur bouilli et son compère l’affreux brocoli trouvent (enfin presque) grâce à mes yeux à côté du reste. Néanmoins, je les ignore souverainement et ils finissent dans l’assiette à pain sans avoir transité par mon tube digestif. Qui ne s’en portera que mieux d’ailleurs. Les douceurs ont la même vivacité, un délicieux flanne de coco, le riche cousin latin de la crème caramel, ou une sorte de gâteau fromagé, plus américain que mexicain, mais servi avec une gelée de goyave, un succès assuré pour les accros aux sucreries que nous sommes.
Ce Fandango nous aura d’abord séduits par le charme, puis par la sincérité et le goût de la cuisine. Jusqu’au style de la carte écrite sur un beau papier de couleur jaune. De plus, la liste des vins d’inspiration "latine" est étoffée et facturée raisonnablement. Une belle trouvaille dans un quartier que l’on connaît bien et qui profitera de ce nouveau venu. Comptez environ 90 $ pour deux personnes et un magnifique repas, avec les taxes et le service mais avant le vin.
Fandango
3807, rue Roy Est
Tél.: 526-7373