La mode des cafés migre peu à peu du voisinage des collèges et des universités vers des quartiers moins portés sur la conversation et la lecture. Il était temps. Le vieux Rosemont, que plusieurs soupçonnent d’être en voie de se métamorphoser en Plateau Bis, commence à les voir se substituer aux bineries gréco-romaines. Ainsi, dans cet ancien quartier ouvrier qui se gentrifie doucement, on n’est plus réduit à se faire présenter les plats par des serveuses "sexy", à moins que ce soit ce que l’on souhaite, bien sûr.
Ainsi, rue Masson, on a vu s’installer ce nouveau petit troquet baptisé Lézard, un endroit qui incite les clients à se comporter comme l’amphibien: à flâner, à regarder les passants ou à méditer sur le repas. Des activités que l’histoire de l’homme a prouvées salutaires. Les patrons, jeunes et sympathiques, ont adopté une formule originale pour le coin: pas de petits-déjeuners à l’américaine ni pizzas, mais des repas légers sur une carte qui propose des paninis, des salades composées, des gâteaux, des tartes et quelques plats cuisinés, lesquels sont offerts à des prix de camarades. Puis, pour nous sauver des brasseries, les 5 à 7 autour d’amuse-gueules permettent de se rencontrer ailleurs que dans ces tavernes enfumées et pathétiques dont certains trouvent encore l’atmosphère poignante, mais pas moi!
Côté décor, c’est presque un coup de génie qui a converti un marchand de meubles usagés en véritable petit resto de quartier à l’ambiance à la fois bucolique et inspirée de l’esthétique des années 60 version Wallpaper. Sans avoir investi une fortune, les patrons ont reverni les beaux planchers, installé de grandes banquettes le long des murs, deux sofas, des tables, un système d’éclairage moderne et discret, et installé leur cuisine à la vue de tous, derrière un bar en bois, importé de quelque ancienne épicerie de quartier. Derrière son comptoir, le chef prépare les espressi faits de café "équitable" et de qualité (dont les profits iraient aux producteurs eux-mêmes) et des plats faits à la minute. Au menu du jour qu’on facture exactement 7,50 $, incluant une soupe de légumes savoureux débordante de carottes et au parfum léger de gingembre, on nous propose un simple couscous aux merguez, servi dans une jolie assiette bleue. Des détails qui ne sont pas superflus, au contraire. Trop de gens ignorent cet aspect du métier qui convertit souvent une bonne idée en petit poème! Car la restauration est justement faite de ces petits détails dont nous nous souvenons bien souvent davantage que du goût de la cuisine. Autrement, un panini au jambon bien frais et au brie est grillé parfaitement, et servi avec un peu de salade de pois chiches et de persil. Question douceurs, on achète d’un pâtissier gâteaux et tartes, au fromage, au chocolat; les classiques de ce genre d’établissement, quoi. Mais tout est frais: la tarte aux pommes cuite dans un appareil à frangipane à la française excellente, et le gâteau praliné, plus américain, se révèle tout aussi délicieux et saturé de calories admissibles.
Il n’aura donc fallu qu’un peu d’effort et de courage pour démontrer qu’une bonne petite table peut très bien se cacher dans un quartier négligé, et offrir autre chose que du fast-food, du café d’épicerie, un service galvaudé et une ambiance de salon de coiffure. L’espoir existe à Rosemont! Comptez une petite trentaine de dollars pour deux personnes avec les taxes et le service pour un petit-déjeuner tardif ou un lunch prématuré. Sans alcool, bien entendu.
Café Lézard
3119, rue Masson
Tél.: 729-3777
Ker Aïda
En bonne Sénégalaise de la tête aux pieds, la charmanteDior Cissé, (aussi élégante que le couturier) nous reçoit dans son resto pittoresque de la rue Saint-Hubert. Tout est coloré et tapageur: les tissus et les objets de folklore qui évoquent la lointaine et surtout torride Afrique de l’Ouest. Oui, c’est vrai, la cuisine du Sénégal n’est pas des plus raffinées, et son répertoire connaît des limites, quand ce n’est pas des ratés. Des plats en sauce, riches et goûteux ou riches et fades, tout dépend du cuistot. À partir d’une carte toute simple, la patronne séduit sa clientèle avec son humour, sa courtoisie et sa beauté, en proposant une farandole de petits plats astucieux et bien troussés. Ici, l’imagination règne: des pâtés farcis de viande qui rappellent la tourtière (qu’on aurait pimentés un peu tout de même); des rouleaux impériaux peu gras dont l’apparition au Sénégal remonterait à la guerre d’Indochine où plusieurs soldats auraient trouvé des épouses; des ragoûts de poisson et de riz parfumés, du poulet cuit au citron ou à l’arachide, et quelques autres trouvailles qui collent aux hanches en ces jours humides. De plus, un dessert original fait de millet et de yaourt et une boisson aphrodisiaque (je le crois) au gingembre fraîchement malaxé, parfumée de vanille, garantissent l’authenticité de la cuisine. Pas cher: pour une trentaine de dollars tout compris, on a droit à deux repas copieux. Et l’on apporte son pinard!
Ker Aïda
1633, rue Saint-Hubert
Tél.: 525-8885