Restos / Bars

Bernard : Modern style

Autre resto "concept", produit d’entrepreneurs malins dont le moto reste "le médium EST le message"? Et qui habituellement se désintéressent de la cuisine et du service, du moins jusqu’au prochain concept?

La nouvelle pièce maîtresse de l’empire DiSalvio s’appelle Bernard, comme l’avenue du quartier Outremont, dans lequel il ne s’est pourtant pas installé. Au contraire, et comme pour nous apprendre que cette portion du Mile-End pourrait ressusciter bientôt – très bientôt, si l’on en juge par certains autres projets de restos et de cafés qui devraient voir le jour d’ici l’été – ce lieu de rencontre élégant sans réelle ostentation a complètement revampé cette rue autrefois ringarde et monotone. Il suffisait d’y penser… et d’avoir beaucoup d’argent!

Esthétiquement, le décor du Bernard s’inspire d’esquisses de Frank Lloyd Wright. Du moins, c’est ce que l’on voudrait nous faire croire. Mais pour s’identifier au plus grand architecte américain du XXe siècle, il faut davantage que des pierres plates empilées, du chrome, un beau foyer encastré à la hauteur des yeux et beaucoup de noir. Cela dit, le décor faussement dépouillé de ce nouveau resto est quand même assez réussi, malgré un éclairage un peu sombre.

Autre resto "concept", produit d’entrepreneurs malins dont le moto reste "le médium EST le message"? Et qui habituellement se désintéressent de la cuisine et du service, du moins jusqu’au prochain concept? Ce Bernard pourrait toutefois nous éviter de tomber dans le piège de "la totale" s’il continue à conjurer les additions délirantes, les ambiances apprêtées et une cuisine précieuse. Mais surtout s’il réussit à garder son jeune chef, le génial Jacques Faucher.

Dès l’ouverture, la cuisine a été confiée à ce cuisinier enthousiaste qui avait autrefois tenu Le Montréo, un délicieux petit troquet dans le Village. Malicieux, débonnaire, Faucher montre un excellent esprit d’invention et sait cuisiner compliqué sans s’égarer par des associations de saveurs précises, des parfums francs et alléchants, et des cuissons justes et, au fond, assez simples. Les bonnes idées fusent sur une carte séduisante où plusieurs plats sont proposés en portion complète ou en entrée, le tout classé par thèmes: venaison, effeuillée (pour les laitues), nippon (pour le poisson inspiré de là-bas), influence (pour le plat du jour). Son bouillon Retour des Indes, délicatement parfumé au cumin et au chili, dans lequel nagent des won-tons farcis de hachis de volaille et des morceaux de champignons shiitake, montre un certain intérêt pour la cuisine globale, sans renier l’importance des leçons de la cuisine classique: équilibre des saveurs, juste ce qu’il faut de pudeur. Les Spoons sont réellement quatre cuillères de porcelaine chinoise qui contiennent des préparations que le chef concocte au gré de son humeur. Ce soir-là, la première cuillère était remplie d’un superbe saumon fumé au thé Lapsang Souchong; la deuxième, d’un cevice de pétoncles marinés au citron vert; la troisième d’un tartare de thon malaxé à de l’oignon et du persil; et la quatrième d’un onctueux sorbet à l’asperge, délicieux et déconcertant, sur lequel on avait ajouté une goutte de vinaigre balsamique. En plat, le jarret de veau cuit longuement en daubière est servi dans un grand bol qui conviendrait mieux à une soupe-repas qu’à un braisé. Impossible de se servir sans avoir l’air d’un homme de Neandertal. Mais les légumineuses, plusieurs variétés, cuites avec précision et beaucoup d’aromates, et le jus velouté et dense de la viande nous font faire des pirouettes d’invention autour des bords surélevés du bol. Nous avons l’air de poules picorant le grain. Un grain qui vaut amplement la peine d’être picoré, cela va sans dire. Les douceurs font autant preuve de gaieté et d’originalité que le reste; et entre le baked-Alaska à la mangue et à la framboise, flambé à la table par un serveur (l’air inquiet), et une tartelette au gingembre confit coiffée d’une meringue italienne succulente, aucune déception, le chef maîtrise ce repas jusqu’au dernier soupir. Tout est préparé avec soin et habileté.

Cuisine d’auteur qui sait rester simple dans les goûts mais qui révèle une puissante personnalité: le Bernard sera identifié à son chef, et si l’équipe en salle est décontractée, elle sait se montrer efficace et, surtout, courtoise. Excellente carte des vins à prix raisonnables, comme le reste d’ailleurs. Pour deux repas copieux, de facture savante, avant le vin mais avec les taxes et le service, comptez 90 $.

RESTAURANT BERNARD
254, avenue Bernard Ouest
Tél.: 271-5007