La route est belle, il fait encore soleil, mais nous avions raté la sortie que nous connaissons pourtant par coeur. "Quand on veut aller si loin, on s’y prend plus tôt, non?" Elle a raison: sous l’effet de la faim, les kilomètres s’étirent comme des élastiques. Nous avons l’estomac dans les talons, un peu de migraine quelque part et la vue semée de petites lueurs fugitives… Au moment où je m’apprête au mea culpa, mon amie s’exclame: "On y est!" À peine sommes-nous descendus de voiture qu’elle s’épanouit pour déclarer: "À bien y penser, t’as eu une sacrée bonne idée!" Elle me le redira toute la soirée – et même plus tard, alors que le clair de lune nous accompagnera sur le chemin du retour. Pour le moment, je me rengorge, bien sûr, aussi heureux qu’elle de retrouver cette grande cour bordée d’arbres, cette maison plus que centenaire, rafraîchie avec goût, cette longue galerie planchéiée qui, l’été, se transforme en terrasse. On nous installe à la même table que l’année dernière, près d’une fenêtre habillée de blanc. Nous sourions à nos souvenirs, mais aussi à la carte que nous accueillons comme un vieil ami, bien qu’elle ne convie pas d’une fois à l’autre aux mêmes agapes. Je commande tout de suite un "Miellé", mais il n’en reste plus. Va pour un muscat. Ma compagne se contente d’une eau minérale. Et là, il faut nous voir, fébriles, pointant du doigt la terrine de gibier, ou le tartare de boeuf à l’huile de sésame et pommes pailles, ou le roulé de saumon fumé et sa rillette, ou le canard confit "Goulu"… Quelqu’un croirait que nous n’avons jamais mangé de notre vie! L’inanition nous guette, mais nous prenons notre temps. Mon amie se plaît à énumérer à haute voix: médaillon de cerf saisi à l’huile de noix, sauce aux groseilles et raisins de Corinthe; côtelettes d’agneau grillées, brandade de chèvre au thym; escalope de saumon cuit à l’unilatéral; médaillon de veau, filet de boeuf poêlé… "Pour le plaisir de le dire", précise-t-elle à l’intention du serveur qui lui adresse un sourire amusé. Elle se sent si bien, si bien, qu’elle commande en entrée quelque chose qu’elle ne prend jamais au restaurant! Je m’attends donc à la voir picorer d’une fourchette craintive, mais c’est à coups de solides bouchées qu’elle vous extermine son croquant de ris de veau aux pleurotes et moutarde de Meaux. Oui, j’ai goûté, sans avoir à insister, mais vraiment de justesse, à la pâte, aux ris, à la garniture, tout cela imprégné d’une sauce serrée, à la limite de la saturation, que j’hésitais à qualifier… "Divin, n’est-ce pas?" Moi, j’aurais dit "démoniaque", puisque c’est d’envoûtement qu’il s’agit. Je suis néanmoins revenu à mon suprême de cuisses de cailles poêlées, piqué d’une feuille de chou frite – mince, légère, translucide. Cette chair est aussi tendre que la mienne est faible. La sauce foncée, lisse, presque caramélisée, s’étale dans la bouche et y prend toutes ses aises. On en gémit presque. Après cela, j’ai les papilles aussi secouées qu’un fêtard au lendemain d’une partouze. Elles récupèrent assez vite, moyennant quelques gorgées de vin blanc australien (Chardonnay Lindermans 2000) et une assiettée de potage (un peu poivré). Mon amie termine sa salade, dont elle avait spontanément reconnu le goût particulier, tout en finesse, huileuse juste à point et sans acidité dominante. Avec, sans doute, un petit "secret" que nous ne cherchons pas à percer. Combien de fois me redit-elle son bonheur d’être là? Je ne compte plus. Et puis, voici mon suprême de faisan rôti de la ferme "Aux grés des vents" (sic), jus d’arêtes au safran et macaire de pommes de terre bleues. Cette volaille n’est pas ma préférée et je me demande bien pourquoi je l’ai choisie. Mais la sauce! Encore elle! Chaque fois différente, mais aussi gouleyante qu’un bon cru! J’en oublie les carottes, les mange-tout, les haricots, les courgettes… Quant à mon invitée, elle a choisi ce que j’aurais moi-même pris: sauté de fruits de mer au beurre d’ail et fines herbes, tombée d’épinards, quenelle de tapenade et chip de céleri-rave. Moules, crevettes, pétoncles se prélassent (pas longtemps!) dans une sauce blanche qui… Bref, les mots nous manquent. Nous soupirons en choeur et tout est dit. Quand nos assiettes repartent, vides, nous éprouvons presque l’effet d’une rupture. C’est fou, ce qu’on s’attache vite, des fois!
Restaurant La Tour de Lotbinière
6405, rue Principale
Sainte-Croix de Lotbinière (Québec)
Tél.: (418) 926-2660
Menu du jour: 9,95 à 12,95$
Table d’hôte: 24,95 à 26,95 $
Souper pour deux (incluant taxes et boissons): 71,49 $
On célèbre en… brunch!
Un brunch gastronomique "à l’assiette", de 11 à 14 h: c’est ce que vous propose Guido le gourmet le 15 avril et le 13 mai. Le menu de Pâques inclut, outre le panier du boulanger et ses confitures maison, un bavarois de saumon fumé et avocat, du gigot d’agneau aux abricots et romarin glacé à l’orange, le truffé et sa mousse au chocolat blanc, plus le café, le thé ou l’infusion avec, en prime, une entrée gratuite au Salon du livre de Québec. Celui de la fête des Mères comporte le même panier du boulanger, une entrée de petites cailles rôties et leur fondant de foie blond et, comme plat de résistance, des médaillons de porc à la poire, sauce blanquette. Pour dessert, le bavarois à la menthe, chocolat et anglaise vanillée accompagné, au choix, de café, de thé ou d’infusion. Il en coûte 19,95 $ par personne (taxes et service non inclus). Enfants de 12 ans et moins: 12,95 $.
Guido le gourmet
73, rue Sainte-Anne
Québec (Québec)
Tél.: (418) 692-3856