Mais voyons donc, un restaurant chinois qui ne propose aucun plat de porc! De qui se moque-t-on? À moins, bien entendu, que la clientèle ne soit exclusivement juive ou musulmane, ce qui est loin d’être le cas. Non seulement le porc est-il la viande la plus consommée en Chine, mais c’est aussi un animal d’une importance considérable puisque le corps gras traditionnellement utilisé en cuisine était le lard.
Alors, quel est donc le problème de ce restaurant présomptueusement baptisé Tao? Les patrons ont-il établi un lien entre Lao Tseu et le cachemire et les perles de Wesmount? En tout cas, ce restaurant aux prétentions bourgeoises, au décor ronflant et au mobilier Réno-Dépôt – mais dont le système de chauffage faisait défaut le soir de notre visite, au point où nous avons dû garder notre survêtement pendant tout le repas – fait dans cette "cuisine asiatique internationale", nouveau terme inventé pour tenter de légitimer ce qui pousse les patrons chinois à faire n’importe quoi, juste pour suivre la mode et attirer une clientèle mal renseignée. On annonce donc des spécialités cantonaises, sichuanaises et thaïes.
C’est qu’on ne peut pas demander à un Pékinois – région d’origine du chef – de cuisiner comme un Thaï. Du reste, Beijing est aussi loin de Bangkok que Montréal de l’Afrique noire! Ensuite, les cuisines sichuanaise et cantonaise ont à peu près autant de choses en commun que la française et l’égyptienne, et la cuisine thaïe n’a gardé de ses racines chinoises que la technique: peu de raisons, donc, de rassembler ces trois formidables gastronomies sur une même carte. Et, qui plus est, une courte carte. Résultat: les propositions de ce Tao sont aussi fades et édulcorées que la cuisine de cafétéria; en bien plus cher toutefois.
Parmi les propositions, la soupe de canard émincé au gingembre nous semblait originale. Mais la viande, nullement émincée mais servie en tranches, flottait dans une sorte de bouillon épais et assaisonné d’une larme de gingembre et de quelques pousses de bambou. Les raviolis "pot sticker" fourrés à la viande et au chou chinois constituaient la seule incursion dans le monde de la viande porcine de tout le menu, le seul mets intéressant et bien fait, et aussi l’une des trop rares spécialités pékinoises. On les présente avec la mauvaise sauce cependant, de la soja foncée sans assaisonnement. Une hérésie. En plat, le sauté de poulet au basilic et aux noix de cajou est un classique de cette cuisine. La version taoïste n’a plus rien à voir avec la Thaïlande: ce plat métamorphosé en sauté cantonais insignifiant, gras et sans parfum, ne contenait aucune trace de basilic. Les noix de cajou étaient déposées, crues, sur une montagne de poivrons verts (une autre hérésie) à peine cuits, de brocoli cru et de poulet noyé, plutôt que nappé, dans une sauce opalescente, sucrée et farineuse. Le boeuf au poivre sichuanais et à la sauce chili ne montrait guère plus de qualités: de la viande trop cuite, une sauce sans goût mais piquante, aucune finesse, aucun intérêt. Faut-il en rajouter?
Heureusement, le service est courtois, mais c’est une piètre consolation pour cette cuisine qu’on a vite envie d’oublier. Comptez 55 $ pour deux, avec les taxes et le service, sans alcool.
TAO
374, rue Victoria, Westmount
Tél.: 369-1122
Maison de Kebab Alborz
Pas besoin d’être devin pour s’apercevoir que dans ce modeste troquet de NDG, on se consacre à la bidoche. La viande qui, n’eût été de la folie bovine et de la fièvre ovine, aurait pu devenir très populaire au cours des deux dernières années – le steak house à l’américaine a même fait une percée étonnante en ville – bénéficierait de la découverte des kébabs iraniens pour se redorer le blason. Chez les Iraniens, descendants des pasteurs des montagnes du centre de l’Asie, la viande était le frigidaire (à dos de chameau, c’est vrai) et le portefeuille (monnaie d’échange et de troc). La cuisine des Perses a toujours fait une large part aux protéines animales; le porc exclu, bien sûr, pour raisons sataniques. Quoi qu’il en soit, dans ce décor sommaire et très éclairé, on peut goûter une dizaine de ces spécialités de grillades perses dont chaque assiette est facturée à moins de 14 $. Trois propositions principales et toutes absolument succulentes: le boeuf haché (kefta ou kubideh), le poulet mariné (jujeh), et le filet mignon coupé en morceaux et mariné au jus d’oignon. Le tout servi avec une montagne de riz basmati parfumé comme seuls les Perses savent le faire; un délice qu’on a tout intérêt à servir avec du beurre fondu, de l’oignon cru et du pain sans levain. Comptez 40 $ pour trois repas de grillades précédées d’une soupe aux légumineuses, un peu fade mais assez singulière, et le thé; taxes et service inclus.
MAISON DE KEBAB ALBORZ
5899, rue Sherbrooke Ouest
Tél.: 484-3300