Sur les murs, des posters en noir et blanc des grandes vedettes de la chanson québécoise; ailleurs, du blanc et du noir également: carrelage du sol, murs, plafonds, chaises en plastique et le long du bar. Le P’tit Bonheur n’est pourtant pas un exercice fortuit. C’est un bistro bien contemporain consacré corps et âme aux artistes d’ici. Et puis, on le dirait presque catapulté du Plateau tellement il est hip, mais ne vous y trompez pas, il s’est installé juste à côté du Théâtre Corona dans un quartier où les belles (et bonnes) tables sont encore rares. Et l’un des patrons s’appelle Charlebois, comme la bière, comme le poster en dessous duquel nous soupons. Et comme les seules mousses offertes au menu et qui serviront à dynamiser les sauces du chef, un ancien du Manoir Rouville-Campbell, propriété d’une autre vedette!
En tout cas, les passants qui longent les grandes fenêtres semblent surpris de trouver là les serveurs arborant de longs tabliers noirs des bistros classiques, au service d’une clientèle assez élégante. Et d’y voir des plats qui ont tout de même de la gueule. Or, les préparations qu’on offre ici montrent encore les signes des fanfreluches qui faisaient la mode il y a quelques années: des branches de thym, de romarin, des giclées de sauces fruitées sur les desserts.
Si la cuisine du chef est honnête et simple- on pourrait même la qualifier de vigoureuse, par contre dans le goût et dans la confection -, elle manque un peu de précision: les viandes sont trop cuites, les sauces, un peu trop sucrées, et les légumes, encore verts. En revanche, il y a un réel effort de sincérité qui nous fait endurer ces petites faiblesses.
L’entrée de rillettes de lapin aux pistaches, servies à la cuillère et accompagnées de confit d’oignons et de poires, et surmontées de tiges de pousses de maïs (ornementation absolument inutile, sans aucun lien avec ce plat), mêle le sucré et le salé. Tartinée sur un bout de baguette un peu engourdie, cette délicieuse terrine nous met en appétit. Nous reléguons cependant la confiture au petit-déjeuner. Le crottin de Chavignol chaud ne l’est déjà plus lorsqu’il se présente sous nos yeux, mais il se laisse grignoter sans résistance. On le présente sur le même pain grillé, accompagné d’une copieuse salade de cresson bien croustillant, nappé d’une émulsion un peu citronnée. Classique et savoureux.
En plat, le foie de veau de lait, nappé d’une sauce au cabernet sauvignon et à l’échalote grise, nous semblait l’un des rares mets à ne pas contenir de sauce douce. Au demeurant, un apprêt compatible avec le goût un peu ferrugineux des abats. Si le foie avait été correctement cuisiné – nous l’avons demandé à point mais il était trop cuit- il aurait été excellent avec sa sauce caramélisée, riche et savoureuse. Le chef l’a assorti de deux purées de légumes bien assaisonnées et de quelques pois mange-tout poêlés légèrement. Enfin, quelqu’un qui a compris que le brocoli, le chou-fleur et les poivrons verts ne sont pas des verdures nationales. Et qu’ils sont surtout indigestes. La côte de porc à l’os, nous dit-on, ne contient aucun sucre. Tant mieux! car presque toutes les grillades ici sont nappées de sauces à base de bière (Unibroue) et que souvent, les chefs neutralisent l’amertume de la mousse avec du sucre, bien souvent trop de sucre. La sauce du porc est une réduction d’Eau Bénite, une bière forte et plutôt délicieuse qui, altérée pour complémenter la viande, et parfaitement intégrée, apporte une note suave et harmonieuse. Mais là encore, le porc a cuit trop longtemps, la viande est un peu sèche et se coupe difficilement.
Même si les desserts nous semblent pimpants et que la cuisine réclame presque une demi-heure d’avis avant de nous servir une Tatin "minute", affirme t-on, il n’en est rien. La Tatin ressemble davantage à une crêpe, la pâte détrempée est molle, et les pommes, tristement enfouies dans le magma. Quant à la tarte aux pacanes, beaucoup de bruit pour rien, c’est une sorte de bavarois qui ne goûte pas grand-chose, des noix pas assez caramélisées, et des éclaboussures de purée de fruit rouge pour donner un peu de nerf à la présentation. Pas convaincant.
Au-delà de l’ambiance réjouissante, Le P’tit Bonheur propose une cuisine qui fait des efforts pour se distinguer et être originale, mais qui manque de netteté et de maîtrise et qu’on facture assez allègrement, pour un bistro. Le service est affable et empreint de jovialité malgré une lenteur qu’on peut associer au rush de l’avant-spectacle, si bien que dès 20 heures, vous êtes assuré d’avoir toute l’attention de la brigade à votre table. La carte des vins joue les grands classiques du négoce avec trop peu de choix au verre, et rien ou presque sous la barre des 30 $. Comptez donc 90 $ pour deux repas, avec les taxes et le service mais avant le vin.
Le P’tit Bonheur
2490, rue Notre-Dame Ouest
Tél.: 931-2088