Cela vous est-il déjà arrivé? Vous consultez la carte affichée devant le restaurant où, de toute façon, vous avez décidé de souper ce soir-là. Un serveur s’approche et, sans crier gare, se met à vous débiter sur le ton de la réflexion personnelle: "Tranquille, ce soir!… Parce que, toute la semaine, c’était plein…" Ça vous agace, bien sûr, mais vous ne dites rien. L’autre poursuit: "Il fait beau, à part ça…." Trois secondes de silence (ô miracle!) et il reprend: "L’escalope de veau à la moutarde… hmmmmm!…" Stoïque, vous encaissez le même éloge pour un ou deux autres plats. Comme vous avez faim, et votre compagne aussi, vous décidez d’entrer. C’est l’une des deux possibilités qui s’offrent à vous pour faire taire le monologuiste – l’autre étant la poudre d’escampette. Les murs sont d’un jaune orangé soutenu et, partout sur ces murs ornés de quelques tableaux, une infinité de petites assiettes, décorées ou pas, vantent la nourriture de ce resto. Des miroirs éclairent le décor. Cela devrait nous rassurer, n’est-ce pas? Le serveur nous propose du pineau des Charentes comme s’il s’agissait d’une nouveauté. Mon amie en commande un, j’opte pour un verre de blanc dont on ne parvient pas à me dire le nom. Et nous nous absorbons dans la lecture de la grande carte: salade magie (aux pommes), escargots au Galliano, potage, filet de saumon à la crème, gigot d’agneau à la menthe poivrée, assiette du pêcheur, ragoût de sanglier au porto – un peu plus tard, nous entendrons le serveur annoncer à d’autres clients que ce sera plutôt un ragoût de bison, mais toujours au porto. Le "menu gastronomique" reprend peu ou prou les mêmes plats, alors qu’une feuille volante présente les repas du midi, dont les crêpes du chef, l’omelette italienne, l’escalope de veau à la moutarde… Nous nous décidons enfin et bientôt arrivent nos premiers plats. Mon feuilleté de pétoncles croûle sous un amoncellement de… crevettes (les petites, style Matane). J’en fais la réflexion au serveur qui répond: "C’est vrai qu’il y a un peu de crevettes…" Je pouffe: "Un peu?" Il m’annonce qu’il va me faire préparer un surplus de pétoncles – mais, hélas, je n’avais pas encore goûté à mes deux ou trois morceaux de "pétoncles" submergés de sauce brune: goût inexistant et texture de goberge! La sauce, elle, a un goût… insoutenable. J’ai beau dire à notre serveur de laisser tomber, il m’apporte un petit bol de pseudo-pétoncles nappés de la même sauce. Il m’est absolument impossible d’avaler ça. J’essaie, j’essaie encore… Rien à faire. Je me dope au vin blanc. "Mange un peu de pain", murmure mon amie d’une voix inquiète. Je saute sur la suggestion et repousse tout le reste. Qu’est-ce qu’on a bien pu mettre dans cette sauce? Du Galliano aussi? Le serveur m’assure que non, parle de "demi-glace"; je lui signale qu’aucune demi-glace ne m’a jamais autant perturbé les papilles. À quoi il répond vaguement quelque chose du genre "secret du chef", etc. Les escargots choisis par ma compagne sont, eux, officiellement aromatisés au Galliano. Elle m’assure qu’ils sont plus "mangeables" que mes pétoncles. Je la crois sur parole. Au service suivant, nous avons droit l’un et l’autre à un velouté de champignons très chaud dont j’alterne les cuillerées avec des gorgées de vin. Je me sens un peu mieux, je transpire moins… "Au moins, il n’y a pas de Galliano dedans!" rigole mon amie – et ce sera notre blague de coulisse jusqu’à la fin du repas. Notre serveur se fait de plus en plus prévenant. À un certain moment, il veut savoir pourquoi je prends des notes. "Vous êtes écrivain?" J’opine. "Journaliste?" insiste-t-il. Je réponds "écrivain en général". Il veut des titres, je lui en sers. Nos plats de résistance? Ha ha! Je ris, non pas de me trouver sympa dans un miroir, mais de n’avoir pas encore vu l’addition. Mon amie mange sans joie une escalope de veau dijonnaise, entendez par là une tranche de viande vraisemblablement attendrie à la boucharde, accompagnée de pâtes, de carottes, de brocoli et d’une touffe de persil. Les mêmes accompagnements se retrouvent dans mon assiette, à côté d’un "suprême de canard au Grand Marnier": chair un peu coriace, sauce doucereuse et une envie d’être ailleurs. À la fin, courageuse, ma compagne accepte de prendre un dessert, en l’occurrence un "panaché" – petite assiette garnie de flan au caramel, de kiwi, de gâteaux… Elle mange un moment sans mot dire et, soudain, lève les yeux pour déclarer: "Vaut mieux que tu n’y goûtes pas!"
Restaurant Da Lino
1980, rue Saint-Michel
Sillery (Québec)
Tél.: (418) 687-5954
Menu du jour: 7,95 à 12,95 $
Menu gastronomique: 35 $
Table d’hôte: 18,95 à 23,95 $
Souper pour deux (incluant taxes et boissons): 71,42 $