De nos jours, les bistrots ont l’air d’épiceries, les cafés, eux, ressemblent souvent à des bars, lesquels correspondent eux-mêmes à des bistros. Sommes-nous dans un chassé-croisé sémiotique? Pourquoi ne pas appeler un bar un bar? Peut-être parce que la surprise, tant lexicale qu’esthétique, fait justement partie des nouvelles tendances en restauration. Voici deux cafés-bistros qui ne font vraiment pas les choses comme les autres.
Le Cartet
Dernièrement, à New York, on a complètement revampé le vieil hôtel Hudson (vide depuis des lustres), du côté de Columbus Circle. Le restaurant de cette perle du design, dont on doit le décor à Philippe Starck, un méli-mélo de baroque viennois et de souk marocain dans un décor vaguement space age, comportait ceci d’unique au pays des lonesome cowboys: les longues tables de réfectoire obligent les clients qui ne se connaissent pas à manger ensemble! Cette idée bien conviviale et très tendance apparaît dans notre quartier ultra-branché du moment: l’ancien quartier des affaires du Vieux-Montréal.
Les grandes tables situent Le Cartet, une épicerie qui se fait bistro – ou le contraire – dans une ambiance de cafétéria chic: voilà pour le ton. Installé au premier étage d’un édifice qui a davantage l’air d’un palais Renaissance que d’une tour à bureaux, ce bistro séduit dès l’entrée par la disposition des tables, par les rayonnages garnis de denrées de grande qualité, par les grandes fenêtres et par la couleur amande des murs. Le menu est inscrit sur un grand tableau noir placé derrière un comptoir réfrigéré, on le consulte pour composer son propre menu. Une fois le choix fait, le serveur nous apporte les plats directement à table; on prend sa boisson à même les frigos – bières, eaux minérales, jus – et on paie la note au comptoir à la sortie. Comme chez l’épicier.
La cuisine du chef, Jacques Lapointe, qu’on a connu aux commandes du Café Massawippi première version, dans les années 90, a gardé sa personnalité inspirée du monde entier, une cuisine qui suit le train de la douce fantaisie et de la générosité. Les entrées varient entre capellini de courgettes et de poivrons en salade, une crème d’asperges et de brocoli, mais elles proposent chaque jour des viandes, des pâtes ou du poisson. En plat, ce jour-là, un sauté de chevreuil au poivre rose, cumin et romarin, un filet de saumon au concassé de poivrons jaunes, ou un magret de canard aux cerises. À 9,50 $ en moyenne par plat, c’est presque un tour de magie. Malheureusement, on nous sert ledit plat dans un contenant de plastique noir qui évoque un récipient de supermarché, sur une assiette de porcelaine! Déguster une telle cuisine dans le plastique est presque assassin. Heureusement le giacomino (Jacques en italien, tiens! tiens!), un gâteau à faire fondre les plus coincés, fait de pommes, de pacanes et d’épices, servi sur un caramel chaud, et la tarte au citron de la grand-mère Cartet, (qui possédait un célèbre bistro à Lyon et dont le patron est le descendant direct) nous font pardonner les résidus de pétrole dans lesquels on nous oblige à manger.
Disons de ce Cartet qu’il est voué aux plaisirs de la table, que c’est un endroit convivial, et qu’on y offre une cuisine moderne et inspirée à des prix réellement étonnants. De plus, on vend beaucoup de take-out aux génies des compagnies de multimédias environnantes, qui, on le sait, n’ont guère le temps de s’attarder loin de leur écran cathodique. Comptez environ 35 $ pour deux repas copieux, les taxes et le service à l’heure du lunch. Ouvert de 7 à 20 h, en semaine, et de 9 à 17 h, le samedi.
LE CARTET
106, rue McGill
Tél.: 871-8887
Café Eurêka
Autre tendance, autre quartier: ce petit troquet miniature du Vieux Rosemont, décoré simplement mais avec une touche d’humour néo-fifties, offre un menu limité, des heures presque illimitées, et le coeur sur la main. C’est d’abord un café à but non lucratif: tous les profits iront à une association et à un centre qui s’occupent des personnes en phase de réinsertion sociale – à la suite de problèmes de drogue ou d’alcool, entre autres choses. Vous vous direz: il y a encore des gens qui ne font pas ça pour le profit? Il semblerait bien que oui. Or, ce n’est pas parce que ce café a un but désintéressé et altruiste que la cuisine y est impersonnelle. Le café est excellent, servi dans des tasses italiennes en porcelaine brune, des salades faites à la minute, des sandwichs délicieux, des gâteaux confectionnés par une vraie personne qui mélange de la farine, des carottes, des épices et qui cuisine à partir d’un four de cuisinière; et ça, dans une vraie maison. Dans notre univers du tout-acheté industriel, c’est devenu de plus en plus rare. Autre rareté: la réelle convivialité entre les serveurs sympas comme tout et les clients qui finissent par se connaître tellement l’endroit est exigu. Pas cher du tout.
CAFÉ EURÊKA
2907, rue Dandurand
Tél.: 374-5858
Les Lauréats
Les meilleures tables du Village CRU 2001
AREA,1429 rue Amherst – Le meilleur resto du quartier gai, toutes catégories confondues; et une cuisine inspirée.
Bazou, 1310 boulevard De Maisonneuve Est – Exotique dans le familier, ce bistro hors normes continue de se faire un nom.
Piccolo Diavolo, 1336 rue Sainte-Catherine Est – Sympa, pas compliqué, avec une ambiance délurée et une cuisine très correcte.
Miyako, 1439 rue Amherst – Un bon japonais de quartier, fiable, sympa et généreux.