Certaines personnes font parfois des crises d’adultes. C’est le cas de Pierre Vesperini, qui avait été joueur de rugby (un vrai) dans sa France natale – heu! pardon dans la Corse natale – et qui s’est mis à faire le service aux tables d’établissements aussi mode que le Globe, et qui a décidé d’ouvrir son propre restaurant. Lui et son épouse Andréanne ont repris un ancien centre culturel portugais et l’ont métamorphosé en petit bistro chic, d’inspiration monastique. Tout l’intérieur a été refait, des planchers aux plafonds et jusqu’aux salles de bain, dans un esprit un peu fantaisiste de prieuré méridional.
La Bastide, le nom qu’ils ont donné à leur restaurant est une pure merveille de débrouillardise et de bon goût, la preuve qu’on n’a pas besoin de gagner la loto pour se lancer en affaires.
La Bastide évoque donc une époque qui, bien que lointaine, n’en est que meilleure. On mettait moins de beurre dans les pommes de terre peut-être? Quoi qu’il en soit, l’esprit de simplicité et de qualité imprègne toute la cuisine, et l’attitude du service reste courtoise sans "l’attitude" justement. Apaisant, le décor, dans des tons de blanc cassé, de gris perle, est joliment meublé et disposé avec égard pour faciliter les conversations intimes ou sociales. Dans un petit salon attenant à la salle principale, on peut même s’alanguir un peu sur une jolie banquette de bois recouverte de coussins. Des détails de décoration intelligente, il y en a partout: plusieurs grands miroirs pour agrandir l’espace, les fenêtres habillées de beaux voilages, des appliques marocaines en bronze, des salles de bain si relaxante qu’on y passerait volontiers quelques heures, histoire de se calmer.
Proposer un menu du Sud qui soit original – et authentique – n’a rien de commode aujourd’hui. C’est que, derrière les fourneaux, la Méditerranée est toujours difficile à apprivoiser pour un Nord-Américain. Mais c’est avec une technique défendue avec assurance que la cuisine du jeune chef Alexandre Loiseau (aucun lien de parenté avec le triple étoilé Bernard Loiseau, nous dit-on, avec lequel, hasard merveilleux, il a pourtant fait ses classes) parle maintenant le basque, des produits simples et goûteux. S’il ne signe pas encore de grandes créations, le chef défend déjà avec brio une cuisine méridionale classique et sage, d’une fraîcheur et d’une délicatesse remarquables. Chose très rare pour une jeune chef d’à peine 25 ans.
Au menu d’une table d’hôte proposée à 20$ (et incluant avec le plat, l’entrée ou le dessert); des champignons, parents de la morille, pochés puis sautés et servi avec un jus de veau sur lequel on dépose un oeuf entier poché, constituent un plat original et presque pudique d’une simplicité quasiment italienne. Par contre, l’assiette de cochonnailles qu’on prend un malin plaisir à terminer jusqu’au dernier morceau – saucissons de mourteau, rosette de Lyon, jambon de Bayonne, canard fumé – n’a rien d’italien et se présente dans une belle faïence marocaine. Des détails dont on se rappelle toujours quand on va au resto et qui donnent un sens réel à ce que l’on appelle le plaisir de la table, aussi important pour l’oeil que pour le palais. En plat, à la table d’hôte, un splendide braisé de boeuf à la basque, cuit en daube avec des petites carottes printanières et des poivrons jaunes. Basque à cause du poivron bien sûr, mais surtout dans l’usage du piment d’Espelette, qui donne à la sauce et à la viande un parfum mordant sans être agressif. Le coquelet bio poêlé et cuit au four est servi décarcassé, ce qui nous simplifie la vie et garde la nappe blanche; il s’accompagne d’un délicieux riz violet. Le thon braisé et enrubanné de jambon de pays nous est servi avec un peu de piperade et une platée de purée, basque, bien entendu, faite de haricots, d’ail, de pommes de terre et… de piments. On ne laisse rien, ne serait-ce qu’un trait de sauce au fond de l’assiette, témoignage éloquent de la succulence des plats. En douceur, un petit pot de crème bien riche au parfum franc d’eau de fleur d’oranger coiffe ce repas vraiment impeccable en tous points.
Tout au long de la soirée, le patron donne des coups de baguette magique de charme à toutes ses tables, avec, pour conséquence, que le service est davantage celui que l’on attendrait d’un pote qui nous invite à sa maison de campagne plutôt que celui d’un resto professionnel. La carte est courte, intelligente et affriolante: trois plats de poisson, trois plats de viande et trois desserts et un plat en formule table d’hôte. Et les vins, astucieusement choisis parmi des crus du Sud, sont proposés à des prix d’amis, bien en dessous de ce que vous trouverez ailleurs. Vraiment! Comptez environ 85 $ pour deux repas à la carte, avec les taxes et le service, avant le vin.
LA BASTIDE
151, avenue Bernard Ouest
tél.: 271-4934