Restos / Bars

Authentique indolence : Shaheen

Est-ce qu’un resto doit être beau pour être bon (ou le contraire)? Faut-il donc donner plus d’importance au contexte plutôt qu’à ce qui se trouve dans l’assiette? Certains diront qu’il s’agit de la question de la décennie, et, au fond, c’est l’éternel débat entre la forme et le contenu.

Est-ce qu’un resto doit être beau pour être bon (ou le contraire)? Faut-il donc donner plus d’importance au contexte plutôt qu’à ce qui se trouve dans l’assiette? Certains diront qu’il s’agit de la question de la décennie, et, au fond, c’est l’éternel débat entre la forme et le contenu. Ainsi, les restaurants indiens de Montréal sont de deux ordres: les beaux et les pas beaux. Et les seconds sont souvent – hélas! diront les timorés – les meilleurs. Plusieurs restaurants indiens en ville sont plutôt bien décorés – jolis tapis, affiches colorées, statues de Visnu -, rien n’échappe au baroque pour donner au client l’impression qu’il est en voyage. Tout ce folklore ne réussit pas toujours cependant à dissimuler l’évidence: la plupart produisent des caris qui reposent sur un rond de poêle des heures durant, sous une épaisse couche d’huile, et qui sont faits avec des épices de commerce plutôt que préparées par le cuisinier. Véritables usines à calories pour maharajahs clinquants. Appétissant! Rien de surprenant à ce que beaucoup de Montréalais n’aiment pas trop ce genre de cuisine.

Shaheen, un troquet sans prétention du quartier Villeray, annonce une cuisine pakistanaise (la différence avec l’indienne se remarque à peine) et fait partie de cette catégorie qu’on baptise dorénavant "cuisine maison", une cuisine imparfaite, assez relevée, qui ne manque pas de charme oriental, mais plutôt de fini. Qu’importe, cette cuisine-là est authentique malgré un décor qui évoque un pays défraîchi, une ambiance glauque et un service amateur. Mais oubliez les couleurs des murs et concentrez-vous sur la cuisine du pépé enturbanné qui prépare ses généreux caris. Certes, n’attendez pas le nirvana, mais des petits ragoûts simples et bien épicés: du boeuf (ce que tout bon hindou se refuserait à préparer), du poulet, de l’agneau, des caris de légumes forts en parfums, saturés d’épices et de beurre clarifié. Les pains aussi sont honnêtes. La carte propose quelques salades froides à base de yaourt, les petits beignets qu’on appelle samosas – trop mous car achevés au micro-ondes plutôt que frits – et des pakoras de plusieurs variétés – oignons, poivrons, chou-fleur enrobé de pâte – aussi craquants que des biscuits sodas.

On comprendra, à voir les gens entrer et sortir avec de gros sacs, que l’on peut commander et emporter chez soi cette cuisine savoureuse. Et puisque l’addition n’est pas bien méchante, 25 $ à deux, avec les taxes et le service – mais oh! sans alcool, nous sommes chez les musulmans ici -, on peut bien innocenter le côté affligeant du décor et du service.

SHAHEEN
758, rue Beaubien Est
Tél.: 270-0793

Asian
Un exemple de plus dans le répertoire montréalais des restos de la péninsule indienne dont le décor est aussi léché qu’un hall de gare. Les patrons ont fait un effort en installant des photos de divinités de toutes confessions religieuses et des nappes à carreaux. Mais un premier regard révèle que l’effort tombe à plat une fois qu’on a distingué les craques dans les murs, les nappes un peu collantes et le fouillis général qui règne autour de la caisse. Encore une fois, l’agencement ordonné n’est pas indien, et s’il l’était, je me méfierais. Mais en cuisine, tout est préparé avec célérité. Tant les pains qui sortent du four tandouri encore bien beurrés, feuilletés et chauds, que les ragoûts d’agneau au parfum persistant de cardamome et les plats mijotés végétariens – ce soir-là, du chou-fleur, des pois et des aubergines fondantes et crémeuses. Et tout est confectionné avec moins de ghee végétal qu’à l’accoutumée. En fait, ceci est une cuisine indienne pour qui se méfie de la cuisine indienne: plutôt légère (mis à part un poulet au beurre assez riche) tant sur le gras que sur les épices et le piment. Et parfaitement digeste. Pour une fois, on sent qu’il n’y a pas eu de relations intimes entre le congélateur et le chef. Les desserts indiens très lactés (et très insolites) sont ici moins sucrés et produits en quantité limitée, ce qui les rend moins louches. Comptez tout au plus une quarantaine de dollars, tout compris, pour trois personnes et beaucoup de plats.

ASIAN
975, rue Jean-Talon Ouest
Tél.: 279-7171

Amuse-gueule
Marabout vient de publier l’ouvrage magistral de Monisha Bharadwaj, Saveurs des Indes, publié en anglais en 1996 sous le titre d’Indian Pantry ("garde-manger indien"). Original, ce livre, par sa façon de traiter les épices, une à une, de manière encyclopédique, en les décrivant minutieusement tant par leurs caractères botaniques que leur utilisation en cuisine, en plus d’ajouter deux ou trois recettes par section. Cela pourrait constituer la meilleure introduction à ce monde complexe que l’on n’a pas encore assimilé au Québec, et nous permettrait de mieux juger les restos indiens – et les forcer à s’améliorer considérablement.