Quel drôle de nom pour un resto: Les Paillardises d’Alucard – une anagramme de Dracula – n’a pas de quoi inspirer la gourmandise, à moins qu’elle ne soit constituée de chair fraîche. C’est joli comme inversion mais c’est se donner beaucoup de mal. Car ce nouveau resto de la rue Saint-Denis se consacre d’abord au patrimoine gourmand de la Méditerranée, toutes origines confondues. Et dans ce coin-là du monde, on ne se gorge pas trop d’hémoglobine.
Ce restaurant s’ouvre sur une terrasse entièrement abritée d’un treillis couvert de feuillage plastifié qui n’est pas dénué d’une sorte de charme kitsch. Mais la surprise se produit dès que l’on franchit la porte d’entrée: ces paillardises seraient maritimes si l’on en juge par le décor de bande dessinée fait de scaphandres fixés sur des murs ocre simulant une grotte (ou un banc de coraux?), de poissons en plastique suspendus au plafond, lequel est enluminé de fausses fresques pompéiennes. Un décor qu’on hésite à aimer à la folie ou à détester, mais qui ne laisse pas indifférent tant il est baroque.
Aussi exceptionnel que soit l’environnement plastique cependant, aussi quelconque nous a paru la cuisine. On en a vu d’autres déchanter en découvrant que ce sont là deux métiers bien différents, malgré les apparences: le décorateur crée des ambiances, et ici c’est réussi. Le cuisinier, lui, crée le plaisir charnel; et là, c’est comme un coup d’épée dans l’eau! Car la carte, bien qu’elle soit intéressante par ses propositions de tapas – une bonne vingtaine de petits plats dont les prix varient de 3 $ à 9 $ – et composée de tout ce qui a fait la réputation de la cuisine méridionale européenne, a oublié l’essentiel: la fraîcheur absolue des produits. Et la cuisine du Sud brille surtout par la qualité des ingrédients. Et puis, il faut bien le dire, le chef devrait aussi perfectionner sa technique, qui montre des signes d’essoufflement à chaque plat. Cela se traduit par un manque de recherche et de maîtrise, tant dans l’assaisonnement que dans la présentation.
Bien qu’il soit assez goûteux dans l’ensemble (malgré le fait que l’on ait employé des tomates en boîte), le gaspacho andalou convainc difficilement. Passé au robot si longuement qu’il ne reste de cette salade en forme de soupe (ou l’inverse) qu’un velouté homogène où l’on ne discerne ni cumin, ni vinaigre, ni huile d’olive, et à peine une note aillée; c’est une version édulcorée (et efféminée) d’un plat habituellement mordant et viril, rien de moins. La salade grecque, qu’on appelle horiatiki là-bas, est une salade paysanne parée d’olives et de feta, pure brebis. Une salade plutôt sommaire à bien y penser, mais qui demeure un délice olympien pour les amateurs. Car on la fait uniquement avec les légumes de saison, c’est là son intérêt. Le chef nous la présente avec des tomates artificiellement mûries, encore vertes au centre, beaucoup de poivrons verts – trop – et des oignons tout mous, tout ça complètement englouti sous un feta égrené et cotonneux qui a le parfum du frigo. Les pétoncles – animal au goût délicat – sont mieux réussis, saisis rapidement et cuits à la perfection. Mais plutôt que de les servir avec un filet de très bonne huile d’olive et un peu d’herbes fraîches, ce qui leur aurait redonné une seconde vie, ils reposent sur une tombée de poireaux à la crème, assez pour les asphyxier et nous avec. Les calmars miniatures à la sicilienne en sauce tomatée et aillée, et dont seuls les minuscules tentacules sont exhibés, sont délicieux et correctement cuits malgré une sauce imparfaitement assaisonnée. Ce n’est pas le cas des crevettes Fra Diavolo qui, elles, sont trop cuites et servies caoutchouteuses dans une sauce très goûteuse. Enfin, un champignon portabella farci d’une sorte de ratatouille dont les sucs amers n’ont pas été complètement neutralisés par un passage au sel manque de personnalité. En finale, la crème brûlée est chaude en dedans et au dehors, une erreur technique, et le sucre brun, imparfaitement caramélisé. Les autres propositions – salade de fruits, entre autres – nous font bâiller. Quant au service, il est assuré par une jeune demoiselle vive d’esprit, mais dont l’expérience en service de table n’excède pas quelques mois. Et à la carte des vins, on n’offre ni rosé, ni vinho verde, rien d’autre que les propositions sages qui se répètent d’un restaurant à l’autre dans tous les établissements du Plateau. Où donc est passé l’effort? Dans le décor? Comptez 40 $ pour deux repas légers, avec les taxes et le service ainsi que deux verres de vin. Des prix modestes qui sont une mince compensation pour une cuisine qui ne fait rire personne.
LES PAILLARDISES D’ALUCARD
4293, rue Saint-Denis
Tél.: 842-1520
CAFÉ CULTURE
Les cafés montréalais sont aussi singuliers que capricieux. Car le café est un rite. Pour certains, il signifie la fin du repas; pour d’autres, un événement social. On s’y arrête, on y lit, on y rencontre des inconnus, on y drague, et on y mange. Celui-ci, L’Aparté, un adorable petit repaire d’intellos – on y présente des pièces de théâtre à l’occasion -, fait partie de ces rares lieux de rencontre où les mots culture et café fusionnent. Nous passerons sur la faune, agitée et gracieuse, sur le service informel et parfaitement courtois et sur une carte courte, intelligente et, ma foi, affriolante dans le genre cuisine rapide, pas chère et surtout bien faite. Les propositions au tableau noir: du couscous, des sandwichs, des saucisses grillées, quelques desserts du cru, communs, il est vrai, mais rassurants quand on a un rush de sucre. Et le café? Très court, astringent, qui ressemble à un point final plutôt qu’à une incitation à poursuivre la conversation sur la toute petite terrasse ou devant l’estrade anodine qui sert de lieu d’expression. Charmant!
L’APARTÉ
5029, rue Saint-Denis
Tél.: 282-0911