L’événement de l’été: le Saint-Paul, l’hôtel "branché" du Vieux-Montréal, un lieu qui diffuse parfaitement l’esthétique urbaine du moment et qui a assimilé les préceptes du postmodernisme et ceux de Philippe Starck: les citations du passé croisées avec la froideur clinique du grand designer. Un mélange assez harmonieux du style Renaissance italienne de l’époque, victorienne à l’extérieur, et un style artificiellement dépouillé à l’intérieur. L’espace est saturé de verre, de métal et de bois.
Son restaurant, Cube, annoncé en grande pompe, est une réussite également. Mais celle-ci n’est pas attribuable à son décor, dans le style cathédrale sci-fi, ni à son ambiance genre décontracté-chic. C’est la cuisine, la touche du chef Claude Pelletier qui en est responsable. Car ce chef dans la trentaine, qui a légué au Mediterraneo une cuisine harmonieuse, est un savant tranquille et consciencieux. Un homme dont le talent passe souvent sous silence au milieu de toqués plus exubérants et surtout plus loquaces. Ce n’est pas par le verbe (ou la télé) qu’il s’exprime mais par des plats de factures impeccables au goût franc et retrouvé. Ce qu’il nous livre ici est une cuisine précise, quelque peu maniérée dans la présentation mais techniquement maîtrisée avec des parfums purs, et des mariages des plus belles saveurs. Sa cuisine est celle de notre temps (je dirais même de notre ville) dans son aboutissement.
Dans chacun des plats, l’émotion perdure. Un potage d’asperges onctueux dans lequel flotte une sorte de gâteau de homard parfumé à la coriandre; ou encore trois déclinaisons de saumon: mariné, fumé et cru en carpaccio, joliment présentées sur des assiettes japonaises: deux préparations sur fond de classicisme habilement rajeuni. La tartelette aux champignons sur laquelle a fondu un peu de vieux cheddar, assortie à la roquette et à l’huile de truffe, parle un peu le roturier ennobli, une sorte de mets modeste harmonisé avec des produits de luxe. En plats, les poissons sont rois: la lotte est rôtie et flotte dans un bouillon de crustacés, léger et parfumé, et se désagrège délicatement en bouche, assaisonnée d’une piperade à la basquaise et accompagnée d’olives vertes et de haricots verts très fins. Le thon est saisi rapidement; il saigne encore, et s’accompagne d’une époustouflante sauce au vin rouge et de chanterelles fraîches à peine sautées au beurre. Appelons ça comme on veut mais il s’agit d’une cuisine encore assez simple qui ne cherche pas à troubler la vue. La carte propose aussi du saumon, du bar et quelques plats de viande, qui paraissent très bien troussés et suscitent plusieurs exclamations de bonheur de la part de ceux qui les ont choisis. Les douceurs sont celles de parfaits cuisiniers: une banane caramélisée servie avec une sorte de gâteau au chocolat coulant et séducteur, des sorbets quasiment minute, une crème brûlée – puisqu’il le faut bien, nous avoue le maître d’hôtel – mais revitalisée par une compotée de fruits comme on les aime.
Pour un endroit aussi branché, le service efficace et policé a perdu ses airs prétentieux et s’occupe discrètement de vos moindres caprices. Jusqu’au sommelier, qui s’y connaît et sait recommander le bon vin. Dommage que les costumes choisis pour les mettre en valeur (alors qu’ils devraient en principe être en retrait) soient un peu burlesques: des running shoes aux pieds, des chemises à frous-frous et des foulards un peu saugrenus. D’accord, ce n’est pas donné. Et pas donné à tout le monde de digérer la facturation à 6,50 $ le 750 ml de San Pellegrino. À ce compte, préférez le vin au verre (vendu 1 $ de plus), et contentez-vous d’eau du fleuve, parfaitement appropriée aux sauces savantes et aux compositions élaborées du chef. Il vous en coûtera donc 125 $ à deux, avant le vin mais avec les taxes et le service.
Cube (Hôtel Saint-Paul)
355, rue McGill
Tél.: 876-2823
CAFÉ CULTURE
"Voyons donc! Ce n’est pas parce qu’il y a un Italien dans la place que le café est bon", me dit un jour un amateur. Je lui répondis: "Désolé, mais c’est ainsi!" Le café, ce sont les Vénitiens qui l’ont reçu des Arabes, ce sont eux qui se sont chargés de le commercialiser à travers le monde, il y a déjà quelques siècles, eux encore qui ont ouvert les premiers cafés européens. À Montréal, pendant longtemps on ne connaissait du café que l’infecte boisson fade que l’on servait dans les dînettes à trois sous. Mais qui, par un hasard malheureux, est devenu le café américain. Juste à côté, toutes ces années, il y avait les Italiens qui continuaient à faire le café serré (stretto) où l’amertume était parfaitement disciplinée. Ces endroits spécialisés n’ont pas eu besoin de chaînes commerciales pour exister ni pour se faire valoir. La Petite Italie, la rue Jean-Talon à l’est de Papineau, Saint-Léonard en sont pleins. Encore aujourd’hui. Le Café Electra, installé juste à côté de la frénétique Main, résiste comme Astérix à la faune tape-à-l’oeil et attire des clients qui ont envie de conversations. On peut y lire le journal, discuter d’amour ou de politique sans avoir à se taper la musique techno des établissements voisins. En plus d’offrir toute la gamme des cafés à l’italienne, on propose des paninis, de succulentes pizzas confectionnées à la minute. Tout est bon, frais et sincère. Vingt dollars à deux, tout compris.
Café Electra
24, avenue des Pins Est
Tél.: 288-0853