Est-il besoin de dire que les campeurs ont déserté leurs tentes et s’égayent en tous sens à la recherche d’un gîte moins humide? La brume, l’orage, la pluie: tout y est. La Malbaie nous accueille ainsi. Notre parapluie se tord de douleur et ne peut rien pour nous. Au kiosque d’information touristique, le personnel ne sait plus où donner de la tête. Hôtels, motels et chalets affichent tous "complet", semble-t-il. Mais il reste une chambre – ô miracle! – à La Petite Marmite où, de toute façon, nous devions souper ce soir ou demain. Et puis, le temps de le dire – ou plutôt de le faire -, voilà nos bagages hissés dans une petite chambre sobrement meublée et pourvue d’une baignoire dite "thérapeutique". Les rares bruits de la maison nous y parviennent comme de très loin. Les odeurs, elles, un peu plus tard, ne seront pas aussi timorées. À la fois subtiles et entêtantes, elles se faufilent jusqu’au dernier étage pour nous rappeler l’heure du souper. Mon amie hume, je soupire d’impatience et nous quittons la chambre, tous deux ensorcelés par des arômes de potage et de filet de morue dominant tous les autres. J’ai tellement faim que je me crois la proie d’hallucinations auditives… Mais non, il y a bien de la musique en bas, dans la verrière pleine de convives: deux jeunes flûtistes qu’accompagne sans faire exprès le tintement discret des fourchettes. Dans la salle à manger aux murs gris, je reconnais les grandes bibliothèques où se bousculent livres et revues, divers objets, un jeu de Scrabble. Nous retrouvons, mon amie et moi, une carte que nous n’avons pas oubliée, malgré les quelques changements qu’on y a apportés. Le choix de martinis n’est plus aussi éblouissant qu’avant, mais quelques-uns subsistent: à la banane, à la cannelle. Celui que choisit ma compagne est au curaçao bleu, tandis que le mien a pour nom Le Petit Marmiton: rhum, schnaps aux pêches, triple sec et curaçao bleu. Je n’aurai pas à conduire, youpi!… Nous mangerons quoi? Filet de morue au beurre et vin rouge, pavé de saumon au beurre de poireaux, cuisse de lapin braisée et farcie de gibiers (sauce porto et rhubarbe), rôti de caribou et saucisse de sanglier (sauce bleuets et canneberges)… Autant de bonnes odeurs qui se promènent là sans se confondre, alternent, se succèdent. Mon amie tente de zyeuter dans les assiettes les plus proches. Queue de homard au lait de coco et curry? Assiette de langoustines au pernod? Il ne reste plus de risottos de champignons, ce que je comptais prendre en entrée. Je me rabats illico sur un feuilleté débordant de poireaux imprégnés d’une sauce blanche, elle-même rehaussée d’un vinaigre balsamique sirupeux, doux et de bonne qualité. C’est aussi la joie, en face de moi: une salade fraîche, croquante, semée de morceaux de fromage, de veau fumé, de courgettes et d’olives noires. Nos apéros ne sont déjà plus qu’un souvenir. Nous carburons maintenant au riesling (Les Cigognes, cave d’Obernai 1999). C’est le meilleur compromis que nous ayons trouvé, compte tenu de nos plats de résistance respectifs. Mais avant cela, le potage! Un odorant petit concentré de bonheur qui vous rafistole le moral par jour de mauvais temps! Cela se mange avec une fébrilité presque enfantine. Une cuillerée n’attend pas l’autre et chacune se croit la dernière. J’en avais demandé peu, mais j’ai eu droit à la dose adulte. On vient nous ponctuer ça d’un mistel de pommes. Maintenant, la bonne humeur règne dans la salle à manger. Les conversations se croisent. Certains se découvrent des amis communs à Mascouche, à Joliette ou à Laval… Deux roulés de veau de Charlevoix: voilà ce qui, soudain, me soustrait de la réalité pour un bout de temps. La garniture m’importe peu, quoique belle: pommes de terre dauphine, brocoli, mange-tout, etc. À moi la viande! Bonne, complaisante sous la dent, elle vous jute dans la bouche, comme ça, déjà imprégnée de sauce et nappée de Migneron fondant. Et il y a tout aussi juteux: les deux cailles servies à mon amie – dodues, farcies aux poires et parfumées. Le sucré n’y est pas trop présent et l’assaisonnement n’agresse en rien la délicatesse d’une chair dont la sauce (à l’estragon et aux poivres) nous fait oublier la sécheresse naturelle. Nous terminons par une tarte au sucre maison. Nous l’aurions souhaitée chaude (au moins un peu, mais pas si froide), surtout qu’elle nous est servie avec de la crème glacée. Et les cafés, brûlants, tentent de nous faire oublier ce détail.
Restaurant La Petite Marmite
63, rue Principale
La Malbaie (Québec)
Tél.: (418) 665-3583
Tables d’hôte: 23,95 à 29,95 $
Forfait d’une nuit pour deux (incluant souper et petit déjeuner): 159 $