Badi
– c’est le patron – ne cessera de vanter les mérites de sa soeur cuisinière, au boulot derrière le comptoir à couper des tomates, à faire mariner dans le jus de citron et les épices de gros morceaux de foies de veau destinés aux sandwichs. Il fera les louanges de son show karaoké arabisant du week-end, ainsi que de la qualité du tabac parfumé aux épices et aux fleurs qu’il propose en narguilé à ses clients levantins pendant qu’ils jouent aux cartes ou discutent des cotes de la Bourse en regardant les jolies femmes déambuler sur le boulevard. Badi pourra même, s’il se sent d’attaque et que la soirée soit assez calme, vous raconter sa vie qui n’est nullement banale. Elle l’est rarement d’ailleurs pour qui a quitté son pays. Flagorneur, le patron? Au contraire, c’est un personnage.
Cela dit, la cuisine marocaine proposée dans ce bistro qui porte son nom se rapproche davantage de la cuisine maison que de la cuisine de restaurant. N’y attendez pas une danseuse du ventre, on ne fait pas de ça au Maroc. Pour le patron, "ce sont des trucs à touristes". N’y cherchez pas non plus une ambiance exotique, le décor évoque plutôt ces petits bistros proprets que l’on trouve dans les quartiers de la classe moyenne à Casablanca. Or, c’est la ville de Badi, et il cherche à maintenir le caractère prosaïque de ces lieux si typiques du Maghreb.
Mais ce que vous devriez trouver ici, c’est une cuisine de cuisinière. À travers des plats qui explosent de parfum de coriandre fraîchement tailladée, de menthe, de fleur d’oranger, de raz el hanout, ce mélange d’épices qui contient tout le garde-manger aromatique d’Orient, des plats qui suintent l’huile d’olive et l’ail. Car la cuisine marocaine, infusée de goûts européens et des épices de l’Asie, est d’abord et avant tout une cuisine de la Méditerranée.
Ici, pas de menu. Pas de prix indiqués, à vous de demander. Certains jours, on propose deux tajines; le vendredi, c’est le jour du couscous. Et tous les midis, on offre des sandwichs superbes (7 $) faits à partir de baguettes bien croustillantes (l’influence française a quand même du bon), et garnis de merguez fraîches ou de foie mariné, recouverts de frites et accompagnés de salade de tomates et de concombres taillés en petits cubes et mêlés à du jus de citron, de la menthe fraîche et une bonne rasade d’huile d’olive. Y a-t-il quelque chose de plus satisfaisant? Peut-être sentir le parfum d’un jarret de veau (13 $) longuement mariné et cuit à l’étouffée jusqu’à ce que la viande tombe de l’os, avec des épices, des morceaux de navet et des citrons confits, ou un ragoût de poulet fondant, aux olives vertes – bien dénoyautées – et aromatisé de jus de citron, des goûts adversaires, mais qui se complètent si bien; le tout servi dans un joli tajine en terre vernissée. Ces tajines sont servis avec du pain authentiquement marocain, en miches rondes et légèrement gonflées. Et le couscous du vendredi? Impeccable, cuit à point, un couscous comme on n’en trouve guère en ville, généreusement garni de légumes, servi avec des merguez. C’est un plat presque sacré, que l’on mange généralement au retour de la mosquée. Pour terminer sur une note sucrée, les Maghrébins ayant la réputation d’être les plus grands consommateurs de sucre au monde, essayez les douceurs tunisiennes (2 $) faites sur place, accompagnées d’une petite théière, infusant du thé vert bourré de menthe fraîche (3,50 $) comme on le prépare à Casa.
Bref, vous avez ici un resto qui ne manque pas d’atouts. Des plats faits à la minute et le couscous à mourir et à revenir le vendredi suivant. Puis, quand la foule (souvent masculine) s’entasse sur la terrasse l’été ou devant les chanteurs quand il pleut, on se croirait transporté là-bas. Pour 65 $ à deux tout compris, deux verres de rouge inclus – pardon, Allah!
Chez Badi
1675, boulevard de Maisonneuve Ouest
Tél.: 932-6144
CAFÉ CULTURE
"Le café appartient aux Arabes", m’a dit un jour un Libanais. Après tout, pourquoi pas, puisque ce sont eux qui ont montré aux Italiens à torréfier les graines crues pour en tirer les meilleurs sucs. Il était donc tout naturel pour les hommes maghrébins d’adopter la coutume européenne de le prendre sur une terrasse tout en parlant politique. En fait, la culture arabe est une culture d’hommes qui échangent des données! Pour en avoir une idée – à moins d’aller en Afrique du Nord -, on peut faire pire que de venir dans ce coin oriental de notre ville et s’installer pour un excellent expresso servi dans des verres à la tunisienne et facturé 1,50 $. Installé au milieu d’un quartier où s’aperçoivent de plus en plus de saris, de boubous et de djellabas, le café Sidi Bou n’a en guise de décor qu’une télé de 100 pouces carrés. Mais on y propose de très bons sandwichs de keftas et un plat du jour – notre choix d’artichauts farcis à l’agneau était succulent – pour environ 7 $. Et c’est quasiment un cliché, il n’y a ici que des hommes, narguilé, parties de cartes, ambiance Tintin et le crabe aux pinces d’or, fumée opaque garantie.
Café-resto Sidi Bou
3583, rue Jean-Talon Est
Tél.: 725-9793