La carte géo-gastronomique de l’Inde a de quoi stupéfier les plus incrédules parmi nous. C’est qu’il y a apparence de tromperie. D’un côté, on identifie la cuisine de l’Inde par son usage – ou son abus – des épices et ses plats-clichés: cari de boeuf, poulet tendori, biryani, nan. En fait: l’usuel de tous les restaurants indiens hors de l’Inde. De l’autre, les Indiens eux-mêmes nous disent qu’il existe des dizaines de cuisines, voire davantage, faites de spécialités régionales distinctes. Or, inutile de les prendre au mot, ces distinctions persistent uniquement dans la cuisine intime des familles immigrantes indiennes, et nous n’avons, pour le moment, d’autres choix que de nous contenter d’une cuisine édulcorée et souvent médiocre pour parfaire notre connaissance. Pour évaluer un restaurant indien à Montréal donc, il ne faut pas compter sur l’originalité des menus, mais plutôt sur l’habileté culinaire, le goût, et surtout l’attention aux détails.
Malgré son nom, le restaurant India Beau Village n’a strictement rien de beau, l’adjectif le plus approprié serait celui de "vilain"; mais allez donc baptiser un restaurant de "India vilain"! Tout compte fait, "beau" reste un meilleur choix, même s’il ne veut rien dire. Manifestement le concept de beauté s’entend différemment sur le territoire indien. Par exemple, les tables, légèrement souillées, et les toilettes – alors là, indescriptibles, dans un décor que certains qualifieraient d’"exotique" et d’autres, de dantesque – et la salle à manger, qui hésite entre le chalet suisse de magasin à 1 $, et le snack-bar, tout cela ferait hésiter les plus hardis aventuriers. Ce troquet propose les habituels plats d’origine punjabi, cette fois concoctés par d’authentiques sikhs du Penjab, réputés là-bas pour leur habileté culinaire. Pakoras et samosas constituent les entrées: ce sont des beignets respectivement de farine de pois chiches et de farine de blé. Les premiers sont mélangés à des oignons sautés et passés à la grande friture; les seconds, à la pâte croustillante, sont farcis de pomme de terre, d’oignon, de coriandre fraîche et d’épices. On les déguste trempés dans l’une de deux sauces déposées sur chacune des tables, un condiment de concombre et de chili incendiaire et une sauce sucrée-salée à base de tamarin et de poivre. Ces bouchées se mangent habituellement dans la rue en Inde. Mais ici, on en fait volontiers sa mise en bouche à la différence près que dans les restos habituels, une assiette de ces petites choses est facturée autour de 4 $, mais ici on vous les vend 1 $ pièce. En plat, et dans le désordre – pas celui de l’ordonnance, mais celui du serveur qui semble tergiverser à tout moment – on apporte les plats à mesure qu’ils sont préparés (ou dans certains cas, réchauffés). Car le dhal, fait de lentilles noires, est bien épicé et savoureux, mais montre des signes de cuisson et de re-cuisson. Le tikka de poulet en cubes est mariné dans une préparation tendori de jus de lime, yaourt, épices et piments rouges, avant d’être grillé à même une plaque d’acier qu’on apporte grésillante à votre table. C’est un plat véritablement punjabi, et Beau Village en donne une interprétation correcte, sans plus; il lui manque ce parfum fumé si particulier aux plats préparés dans le four en terre cuite. Des plats végétariens, nous retenons l’okra baji, un cari d’okra, ce petit légume tropical en forme de cigare qu’une cuisson inappropriée rend souvent visqueux. On le présente coupé en petites rondelles avec des poivrons verts, du gingembre frais et des tomates pour une version tout à fait délicieuse. Les pains sont honorables, tant les nans que les kulchas à l’oignon ou les parathas frits et farcis d’échalotes. Si vous aimez les "sweets" indiens, ce sera le paradis car, tant le choix que la qualité sont exemplaires. Mais si vous n’êtes pas familier avec ces pâtisseries faites de lait concentré et de sucre – en quantité quasiment industrielle – vous risquez d’entrer en choc diabétique, faites gaffe.
Vous pouvez vous attendre à deux sortes de réactions en venant ici: de deux choses l’une: vous voulez à tout prix éviter les pièges à touristes (cette cuisine uniforme et sans grande originalité, mais prévisible), et vous adorerez l’endroit pour son cadre "unique" et tout à fait boui-boui d’impasse à des prix presque sous la barre des fast-foods; ou vous détesterez le désordre, la cuisine réchauffée, le serveur dans la lune, le cadre discordant. Mais pour 30 $ à deux, taxes et service compris, c’est quand même dur à battre non?
BEAU VILLAGE
752, RUE JARRY OUEST
TÉL.: 272-5847
Amuse-gueule
Septembre serait le mois du poulet selon la Fédération des éleveurs de volailles (qui se sentent passablement agressés de ce temps-là) qui vient de lancer un site Web dont le but est d’informer les consommateurs quant à "la nature, la qualité et la diversité" des produits de poulet, "les mythes les plus tenaces (comme ceux qui veulent que les poulets soient nourris aux hormones alors que cette pratique est interdite au Canada depuis presque 20 ans), les réalités" de la production de volailles au Québec et "les normes de salubrité". Il ne nous reste plus qu’à être rassurés sur les risques de salmonelle liés aux habitudes d’élevage et à la paranoïa réelle qu’a suscitée la découverte en Europe de poulets nourris à la dioxine! En tout cas attendons-nous, ce mois-ci, à un "blitz" pour redorer cette industrie.