Restos / Bars

Poisson d’avril : Usufruit de mer

Un nom pareil oblige. Comme une noblesse. La carte tient donc à lui faire honneur par une grande diversité d’apprêts appliqués aux poissons et fruits de mer.

Ce restaurant ne s’écarterait pas trop du "droit chemin" qu’il s’est tracé s’il renouait avec certaines de ses premières amours. Je pense entre autres aux acras de morue bien relevés qui figuraient jadis – c’est déjà si loin! – parmi les premières rubriques. Ce qui semble ici un reproche n’est que l’expression d’un regret. Une profonde inspiration, parfumée de toutes les odeurs qui règnent là, et me voilà prêt à croire à bien des promesses, de la mouclade au poisson du jour, en passant par le steak d’espadon à l’ailloli, le combiné (demi-homard et crabe), l’éventail de scampis… "Pourquoi pas le filet mignon ou le poulet farci aux épinards et au cheddar?" demande mon amie pour blaguer. Cela nous amuse comme une plaisanterie de coulisse. Autour de nous, il y a autant de monde qu’à l’intérieur, dans la salle à manger. Nous avons choisi la terrasse, aux trois quarts fermée. Elle est maintenant munie d’une haute chaufferette sur pied. J’ai choisi la table qui en est la plus rapprochée, par crainte d’avoir froid. Nous aurons tellement chaud, à un certain moment, que nous demanderons d’en abaisser la température… Mais ce sera bien plus tard, après que j’aurai, d’une fourchette gaillarde, aidé mon amie à venir à bout de ses calmars frits – pas mauvais, dans l’ensemble, mais que je souhaitais plus goûteux par eux-mêmes, c’est-à-dire sans recours obligé à la sauce. Un petit peu plus assaisonnée, la panure en aurait sans doute fait une réussite. Le choix de cette entrée n’avait pas été facile, en raison de tout ce qui nous était proposé de chaud ou de froid pour commencer: salade de crevettes de Matane façon capitaine, saumon fumé aux trois bois "Fée des grèves", croûtons de chèvre chaud et saumon fumé, chaudrée de saison, soupe de poissons et sa rouille… Pour la suite, combien de fois n’avons-nous pas tourné et retourné les pages de la carte, sautant des moules et frites aux pâtes du jour, hésitant entre la tranche d’esturgeon au coulis de tomates et le filet de doré, lorgnant même du côté d’un duo de scampis et mignon de boeuf grillé! Et il fallait voir avec quel entrain les autres clients exprimaient leur appétit. Moules, crabe, homards… – notre faim passait par toutes les envies! Nous avons également tergiversé, en ce qui concerne le vin, avant de nous rabattre sur un Picpoul. Quelques tranches de pain pour tromper l’attente, puis nous y sommes. Un grand bol hérissé de moules bien ouvertes, quelques récifs de pommes de terre dans une mer de sauce orangée, une rondelle de calmar surnageant comme une bouée, telle est la "bouillabaisse provençale" qu’accueille mon amie, le sourire aux lèvres et les ustensiles dressés. Elle se dépêche d’explorer. "Moules… saumon… calmars… pétoncles…" Elle coupe court à l’inventaire, car on lui apporte les croûtons, la rouille et le fromage. Je goûte, apprécie, regoûte et commente: "Bonne bouillabaisse, chaude, épaisse à souhait, mais…" Elle m’interroge du regard, les sourcils levés. "J’y aurais ajouté une pincée de sel et forcé un peu sur les aromates." Elle n’approuve pas. C’est son plat à elle, de toute façon. Quant au mien, il est immense et se présente courtoisement sous le nom d’Assiette du Commodore. "Enchanté!" me dis-je tout bas. Et il y a de quoi. Imaginez une sorte de plateau transparent, en forme de poisson, où la multitude marine tient son conseil de guerre. J’en ai allégrement triomphé, envoyant ad patres les crevettes qui s’étaient réfugiées sous une section de crabe – laquelle n’a pas tenu longtemps -, les pétoncles abrités sous un demi-homard, les moules qu’il a fallu mâcher un peu plus longtemps, et jusqu’à ce filet de saumon que j’ai attaqué machinalement, vu que ce poisson tant glorifié figure très loin sur la liste de mes préférences. Le riz, je n’y ai pas touché. Les légumes sont repartis indemnes. Repus, groggy et un peu endormis par la sur-satiété, nous repartons nous aussi, sans avoir pris ni dessert ni café.

Restaurant Poisson d’avril
115, quai Saint-André
Québec (Québec)
Téléphone: (418) 692-1010
Menu du jour: 8,95 à 14,95 $
Tables d’hôte à partir de 21,95 $
Souper pour deux (incluant taxes et boissons): 107,37 $