Il a plu. La terrasse est déserte. Les parasols ont la mine basse. L’automne frileux nous poursuit jusqu’à l’entrée du restaurant. À l’intérieur nous attendent et la chaleur dont nous avions besoin et la fébrilité d’un personnel qui semble se multiplier pour satisfaire cette clientèle nombreuse d’un vendredi soir. Des gens arrivent, d’autres partent. Ici, du vin; là, des bières; des salades ou une entrecôte à une table, des moules et frites à une autre, sinon une entrecôte ou un plat de boudin noir. Comment résister à ça? On se laisse donc enrôler dans l’ambiance – un verre de vin en guise de passeport et une carte bavarde pour itinéraire. La faim me laisse à peine le temps d’admirer l’élément le plus original du décor: une collection intitulée Les Chapeaux de la patronne. Ces coiffures accrochées au mur du fond, derrière moi, sont de toutes les formes et de toutes les couleurs. Mon invitée a déjà fait son choix: une saucisse dite "Diabolo" qu’elle souhaite très piquante. Ce qu’on lui confirme volontiers. Elle ne sait pas encore ce qui l’attend… Je me paie la nécessité (et non le luxe) d’une entrée, soit un carpaccio de truite à l’huile d’avocado (sic) et tomates séchées, qui me surprend agréablement. La présentation en est assez jolie, le goût très… apéritif, moyennant une petite pincée de sel. Au service suivant, le spectacle commence. Pas en ce qui me concerne, non. Mais, en face de moi, de grands yeux s’ouvrent démesurément sous l’effet d’une "décharge" de piment. Mon invitée souffle et tire la langue. Je lui demande si c’est piquant; elle répond que le mot est faible. Et la voilà qui fait main basse sur mes frites-mayo et sur mon verre d’eau. "Ça va comme vous voulez?" demande la serveuse, arrivée subrepticement. Je ne reconnais pas la petite voix qui confirme que c’est-très-bien-merci et qui, ensuite, un peu chevrotante, m’offre de goûter à la "Diabolo". Je décline l’offre, malgré l’assurance que la saucisse est bien assaisonnée, a bon goût, etc., si l’on fait abstraction de la saveur brûlante – mais est-ce possible? Elle lui trouve même des vertus thérapeutiques: "Ça vous débloque les sinus le temps de le dire!" Mais je préfère continuer à me soigner aux petits oignons, en l’occurrence aux échalotes grises, liées d’une sauce courte et moelleuse, dont on a tapissé la bavette qui m’est servie, tendre et cuite à point. Le palais s’en réjouit. Nous prolongeons un peu notre souper d’un café chaud qui devrait, croyons-nous, exorciser le froid insidieux qui nous attend dehors.
Chez Ulysse et Pénélope
2520, chemin Sainte-Foy
Sainte-Foy (Québec)
Téléphone: (418) 653-9344
Tables d’hôte: 16,95 à 20,95 $
Souper pour deux (incluant taxes et boissons): 43,83 $
Hommage au terroir
Le lancement du deuxième ouvrage de Daniel Vézina coïncide avec celui de sa cuvée spéciale Cabernet Sauvignon (Valle Centrale, Chili) célébrant le 10e anniversaire du restaurant Laurie Raphaël. Sous le titre Ma route des saveurs au Québec, l’auteur ne propose pas seulement un livre de recettes, mais également une autobiographie gourmande et un hommage sincère aux artisans et producteurs sans qui la fine cuisine québécoise ne serait pas aujourd’hui ce qu’elle est. Dans son introduction, il évoque avec amusement ses débuts gourmands: "Déjà, à trois ans, j’avais saisi que des crises magistrales à table avaient le pouvoir de me procurer une double ration…" Il ajoute, un peu plus loin: "Dans ce deuxième livre, j’ai voulu partager avec vous la connaissance de ceux qui continuent d’alimenter mon péché mignon, ces artisans de la terre et de la mer qui ont cru au potentiel de notre table, sans qui je ne serais rien…" Évidemment, ceux qui perçoivent la gourmandise comme un défaut l’ont toujours inconsciemment associée à la goinfrerie, alors qu’elle est tout autre chose: une prédisposition au bonheur et une source d’inspiration. Le livre de Daniel Vézina est heureux, et les magnifiques photographies de Louis Ducharme nous le rappellent à chaque page. On le feuillette, on le lit, on s’arrête, on revient aux pages précédentes: foie gras poêlé hivernal aux fruits exotiques et au sirop d’érable (p. 57); homard de la Côte-Nord, sa mousseuse de corail à l’huile d’estragon, asperges blanches rôties au parmesan, têtes de violon et morilles fraîches (p. 69); gratin de fromage de chèvre Tournevent et jarrets d’agneau confits aux poireaux (p. 35), etc. Pour un peu, on croirait lire un conte de fées, mais ces choses existent, photos à l’appui, et vous en avez sous les yeux les recettes – simples et méthodiques. Après une courte préface de Normand Laprise (restaurant Toqué!) et l’introduction de l’auteur, on débouche sur les entrées froides et c’est tout de suite l’évocation de "La petite Provence de Charlevoix" et du travail de Jean Leblond. D’autres visages surgiront au fil des pages: Anne et son aspergeraie de l’île d’Orléans; François Brouillard ("François des bois") et sa centaine de plantes sauvages; Omer Rail, de Longue-Pointe, et ces fruits de mer inattendus qu’il fait découvrir à la cuisine québécoise… Et d’autres, d’autres encore qui peuplent ce livre palpitant de vie.
Ma route des saveurs au Québec
De Daniel Vézina
Laurie Raphaël
2001, 126 pages