C’est peut-être un hasard, mais à l’ère de la présidence Bush, Texan riche et conservateur, la viande redevient le sauf-conduit – et parfois le passe-droit – des bistros chics. C’est l’équation toute simple de la cuisine américaine: il faut penser gros. Ou mieux: plus gros. Ça tombe bien, plusieurs restaurants consacrés ici "temples de la chair" croient que c’est exactement ce que veut la clientèle.
Le patron du Tartarin en sait quelque chose. Normal, il est boucher. Et sa viande, il la reçoit (ou la découpe) le jour et la sert le soir – pas de congélation, ni de dégel. De la viande fraîche, servie généreusement et épargnée par les pesticides, les antibiotiques, les dioxines ou les OGM; et qui provient de source réputée comme la Ferme des Voltigeurs. Pas besoin d’analyse pour s’en rendre compte d’ailleurs, une fois grillée et dans l’assiette, n’importe quel néophyte reconnaîtrait la différence, alors imaginez les vrais amateurs.
Petit resto vraiment exceptionnel de la rue Saint-Denis, tellement différent de ses voisins, il ne se consacre pourtant pas à n’importe quelle viande mais au cheval, au gibier à poil et à plume et à l’agneau. Ici, pas de cochon ni de boeuf jusqu’à ce qu’on ait fait la preuve que ces bêtes sont élevées dans des conditions salubres.
Attenant à la boucherie fermée le soir (habilement dissimulée derrière un joli paravent chinois), le Tartarin ne présente pas des banquettes couvertes de vison et des couverts d’argent, mais une atmosphère simple et cosy. On dépose quelques fleurs, on diminue l’éclairage, et ça suffit pour créer un discret charme bourgeois. Pour nous faire patienter, on nous apporte des croûtons tartinés de rillettes de pintade aux raisins secs gonflés dans le jus de viande, qui sont tout à fait succulents.
En entrée, le confit de canard est servi chaud, bien gras et bien parfumé, accompagné d’une demi-laitue de chêne impeccablement fraîche, nappée d’une émulsion faite d’une goutte de soja noir et d’un peu de sirop de cassis. C’est à la fois savoureux, pas trop sucré, le soja réussissant à équilibrer l’écoeurant goût du sirop. Les baluchons de canard de Barbarie à l’orange sont inspirés de l’Asie du Sud-Est. On reconnaît l’assaisonnement discrètement oriental dans le mélange de bâtonnets de carottes et de fenouil braisé avec la chair du volatile et les notes subtiles d’agrumes, tant dans la viande que dans l’émulsion qui l’accompagne; une agréable touche exotique.
En plats, les viandes sont tellement exquises et présentées avec un tel soin qu’on a peine à en laisser (même si les portions sont copieuses) ne serait-ce qu’une bouchée dans l’assiette. Fait rare. Après avoir goûté un filet d’agneau servi avec une sauce aux raisins blancs, une viande si tendre et savoureuse qu’elle se coupe sans effort à la fourchette; et un filet mignon de cheval, cuit rosé sans même qu’on le demande et dont le goût, s’il évoque la viande de boeuf, lui est nettement supérieur, nous sommes désormais convaincus de ne plus manger de viande congelée. Car le sang contribue à la fois au goût et à la tendreté des viandes que le processus de congélation, lui, déshydrate totalement. Les viandes sont ici poêlées avec une parfaite maîtrise de la technique du gril, et sont servies avec des sauces goûteuses et courtes. On accompagne ces grillades d’une variété de légumes, tous frais et tous issus de cultures bio, des carottes rouges et blanches, des pommes sautées, et des haricots pour l’une et une interprétation très correcte du gratin dauphinois pour l’autre.
Jusqu’au dessert, un clafoutis aux prunes fait sur place (un dessert que j’adore pour son côté faux rustique), concocté avec plus d’oeufs que nécessaire, ce qui donne une texture plus riche et humide rappelant un peu le far breton. Avec un filet de crème fraîche, c’est un réel délice; mais un délice tout simple qui fait honneur à l’effacement des cuisiniers devant leur produit. La carte des vins respecte l’importance de la bidoche au menu et propose quelques crus rustiques et de caractère, français et italiens pour la plupart, que l’on peut également sélectionner au verre. Le Tartarin se distingue aussi en ce qui a trait à la facture puisque les prix indiqués au menu incluent les taxes et le service, à l’instar de ce que font les Européens. Pour deux repas très copieux, on comptera donc 100 $ tout compris, sans le vin.
Tartarin
4675, rue Saint-Denis
Tél.: 281-8579
Amuse-gueule
La Sicile est un pays et une province: un pays, par la culture et la volonté; et une province, par accident. Un peu comme le Québec. Mais la cuisine sicilienne, au contraire de la nôtre, a été épargnée de l’influence britanno-américaine. Elle a aussi accumulé un peu toutes les influences de ses voisins et conquérants (Arabes, Normands, Autrichiens, Espagnols et Italiens du Nord), et les a dissoutes en un répertoire original et tout à fait singulier. Inconnue ici, elle gagnerait à être découverte, ne serait-ce que pour ses qualités saines et fraîches. Parlant de cuisine saine, la journaliste québécoise Jeanine Saine, elle, a passé plusieurs semaines, et plusieurs séjours, à parcourir l’île méditerranéenne d’une rive à l’autre, à interroger les spécialistes de la cuisine populaire et aristocratique, les vignerons, les fromagers, les princesses et les marchands de légumes, pour recueillir une cinquantaine de recettes authentiques et pleines d’esprit. Le résultat a donné un livre épatant, avec des photos splendides qui nous communiquent immédiatement l’envie de nous précipiter chez l’agent de voyages et de considérer la retraite. Publié aux Éditions Guy Saint-Jean.