Restos / Bars

Escale à Saigon : Timide Indochine

Entre la cuisine vietnamienne et le Québec, ç’a été l’amour à première vue (ou mieux, à la première bouchée).

Entre la cuisine vietnamienne et le Québec, ç’a été l’amour à première vue (ou mieux, à la première bouchée). Mais toutes les cuisines vietnamiennes ne sont pas égales. Tous les cuisiniers non plus. Avant que ne surgissent les troquets à phos, il n’y avait qu’un restaurant viet un peu chic: Escale à Saigon, tenu par une équipe qui voulait faire connaître une cuisine vietnamienne bourgeoise. Les patrons y proposaient une cuisine savante et raffinée et n’utilisaient que des produits de qualité, des coupes de viande noble, et travaillaient avec des sauces mieux besognées. Aujourd’hui, Escale à Saigon a changé de mains, et c’est Madame Lee, une Saigonaise installée à Paris, qui dirige ses destinées. Il faut dire qu’elle a l’habitude, elle est déjà propriétaire de deux établissements d’assez bonne réputation dans la capitale française, baptisés Santal et Santal des Prés. Pas étonnant qu’elle ait surnommé son resto montréalais Santal des… Neiges!

Contrairement à ses compatriotes du Chinatown, qui se contentent de formica et de néons criards, Escale à Saigon met des nappes sur ses tables, et a décoré avec des fleurs et des tons très "chambre à coucher de jeune fille" son opulente salle à manger. En cuisine, on ne fait pas dans la fusion des genres, on se contente de citer quelques racines orientales par ici, quelques notes japonaises par là. Le résultat n’est pas inintéressant; mais il serait carrément passionnant si la cuisine était impeccable, si les standards étaient constants, et s’il y avait un peu moins de cette trop grande sagesse dans la confection des plats. Car à des prix qui font des cabrioles pour ce genre de cuisine, on ne s’attend à rien de moins qu’à la perfection. Des prix qu’on essaie de justifier avec une petite assiette de friture, légère et fine, qui sert de mise en bouche. Composée de dumplings farcis au porc façon chinoise, de rouleaux impériaux, de tempuras de légumes – façon japonaise – et aussi de crevettes et de calmars panés, auxquels il manque une touche de sel, on découvre une cuisine d’entrée qui ne semble pas respirer suffisamment d’oxygène. Les salades distinguent la cuisine vietnamienne de la chinoise, et composent un important répertoire. Dans un pays chaud et humide, les ressources du jardin – herbes, légumes, fruits – se mêlent fréquemment aux viandes et aux condiments. Parmi une dizaine de propositions, la salade à la mangue est saisissante par son côté aromatique, servie sur de la laitue émincée, avec de la coriandre fraîche, du persil, du nuoc mam, et beaucoup de jus de lime.

Les plats ont une ascendance chinoise indéniable ici, et révèlent la très importante influence cantonaise. Nous avons choisi une préparation de crevettes sautées avec des légumes variés et des piments forts, baptisée d’une appellation un peu pompeuse. Le brocoli et le poivron vert sont du plus mauvais effet sur un plat de ce genre, nonobstant la sauce au goût franc et la clarté de l’assaisonnement, pourtant assez fin. Quant au porc, sauté avec des feuilles de moutarde, c’est un plat un peu raté, le légume dominant ayant perdu tout son caractère à cause d’une surcuisson éprouvante; et la viande, tout en étant savoureuse, restait filandreuse. On l’assaisonne avec une sauce très salée faite d’un condiment de haricots fermentés, populaire dans la cuisine du Sud chinois. On doit aussi choisir un plat de riz, facturé séparément. Celui à l’ail rôti et au gingembre est excellent.

La carte des desserts est bien inutile après un si copieux repas; cependant, s’il vous prend l’envie de terminer sur une note sucrée, les fritures au miel sont faites avec précision et, encore une fois, une touche de légèreté.

Ce restaurant qui a connu des vicissitudes a ses habitués. Une clientèle assez bien tenue, qui parle doucement en plusieurs langues, et fait plutôt dans la discrétion. Tout comme la cuisine de cette Escale, qui ne fait pas d’esbroufe, mais cherche à réconforter. C’est déjà pas mal. Le service est discret et tout en nuances; et la carte des vins, comme dirait l’autre, est dans le style des restos asiatiques de notre ville: plutôt maigre. Le choc vient avec l’addition toutefois, car nous ne sommes pas habitués à manger asiatique au prix d’un resto français. Comptez 75 $ avec les taxes et le service, avant le vin.

Escale à Saigon
107, avenue Laurier Ouest
Tél.: 272-3456

Amuse-gueule
Le Gala Charton-Hobbs n’a d’autre but que de récompenser les travailleurs "sérieux" de la restauration par des prix que décerne une équipe formée de gens n’officiant pas tous directement dans les cuisines. Cela dit, ce Gala (tenu à l’hôtel Windsor) a donné lieu cette année à de beaux moments, surtout celui qui a couronné Claude Pelletier l’Étoile 2002. Une étoile tout à fait méritée pour ce chef consciencieux et humble, qui a tranquillement établi sa réputation sur la gentillesse, son talent et le très beau resto qu’il a lui-même ouvert avec deux autres associés l’été dernier: Le Cube. Au même panthéon ce soir-là: Jean Paul Aubry, du restaurant Chez Queux; Nadine Gagnard, sommelière au Café de Paris du Ritz, et Carlos Ferreira, propriétaire du très beau (et très bon) Café Ferreira. Des honneurs absolument judicieusement attribués.