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Au Pied de cochon : C'est le pied!

Disons-le tout de go, cette chronique ne s’adresse pas aux végétariens ni aux intégristes de la cuisine macrobiotique. Ce n’est pas pour autant un plaidoyer pour la cuisine lourde de l’ancien temps, ni pour celle, pire et rapide, des temps modernes que les Anglais appellent "cuisine-poubelle".

Disons-le tout de go, cette chronique ne s’adresse pas aux végétariens ni aux intégristes de la cuisine macrobiotique. Ce n’est pas pour autant un plaidoyer pour la cuisine lourde de l’ancien temps, ni pour celle, pire et rapide, des temps modernes que les Anglais appellent "cuisine-poubelle". O.K.! C’est une cuisine virile, très yang, masculine si l’on veut, mais qui donne de l’énergie. Une cuisine qui va comme une mitaine au climat d’ici.

Cela dit, on ne sait pas si le nom du restaurant Au Pied de cochon a quelque chose à voir avec le concept ou avec l’homme derrière le concept. Jusqu’aux assiettes qui sont calligraphiées à l’effigie de ce cuisinier plus grand (et un peu plus enveloppé) que nature qu’est Martin Picard. Le décor, décliné dans des tons de blanc cassé et évoquant un bistro classique version 1930, est tout à fait réussi avec ses tables en bois massif, ses miroirs sur tous les murs, ses lampes originales et ses cuisines ouvertes. Aux yeux de tous, Picard et son équipe s’agitent devant des plats qui mijotent lentement, ou devant l’immense four à bois qu’on aperçoit dès l’entrée.

Sa cuisine n’en est pourtant pas une d’effets, c’est une cuisine qui laboure la tradition et qui la pétrit d’invention. Car si Picard ne se prend pas pour Bocuse, il sait bien faire la cuisine avec des idées réfléchies et le goût de la franchise – ce qui ne se traduit pas chez lui par "faire simple". Au contraire, les plats à la carte montrent des saveurs complexes, une technique brillante, qui frôlent le stupéfiant par l’originalité et le souci de la précision. On s’en rend compte dans le contrepoint des saveurs et dans une certaine coquetterie aromatique (pour ne pas dire dans la présentation, faussement rudimentaire) où il sait éviter la sophistication en maîtrisant les audaces et en fuyant les accords faciles ou gratuits. Il y a toujours ici (dans les sauces et dans les jus) quelque chose qui justifie l’ensemble. C’est là la marque d’un vrai talent de cuisinier.

Cuisine viandeuse, répertoire familier d’un bistro nouveau genre (enfin, d’un "nouveau-ancien genre"), style maison de campagne française, Au Pied de cochon n’a pourtant rien à voir avec le trou des Halles. Picard donne un second souffle à toutes ces choses qui évoquent une certaine vieille France: les oeufs ou la langue dans le vinaigre, les rillons, le tartare de cerf, les filets de maquereau, l’andouillette, le confit de canard et le pot-au-feu, intégralement préparés à même la cuisine. En commençant par des cromesquis d’origine polonaise faits de foie gras, une explosion de liquide hépatique congelé puis passé à la grande friture. Miniature surprise que le chef maîtrise bien pour l’avoir perfectionnée lorsqu’il était chef au Club des Pins, dans une autre vie. Ensuite, place à la salade de croustillant de pied de cochon, un émincé de viande des extrémités, bien gras et savoureux, qu’on emprisonne dans une ballottine frite, et qu’on présente avec des rillons de porc émincés et cuits au saindoux, et une petite verte assaisonnée à la minute. Les plats sont généreux; trop, diraient ceux qui craignent les protéines animales. Un magret de canard d’un moelleux incroyable est rôti au four à bois avec des patates à la sarladaise sautées avec des champignons sauvages, de l’ail et de la graisse de canard, et d’extraordinaires pleurotes des champs. On sert le cassoulet dans la vraie cassolette de terre vernissée, une savoureuse alliance de haricots blancs fondants, de saucisson aillé, de confit de canard et de poitrine de porc, que ne renieraient pas les Toulousains. Plat classique depuis des siècles, le champ vallon est constitué d’agneau en côtelettes, cuit entre des couches minces de pommes de terre et d’oignons. Aussi simple que ça et aussi succulent qu’on peut l’imaginer, surtout quand il se met à faire froid et humide. Les desserts continuent le feu d’artifice: une crème brûlée cramée au fer, parfaite, une tarte au citron à mourir tant la meringue est sublime, et un fondant au chocolat marqué par une légèreté étonnante.

Inutile de vous dire qu’il est plus sage de réserver, surtout le week-end. Les prix: 20 $ pour les plats, entre 2 et 7 $ pour les entrées. La cave est bien fournie et facturée avec un souci d’équité; le service est zélé, souriant et détendu: la preuve parfaite que la brigade s’amuse comme en croisière. Comptez environ 70 $ à deux avec les taxes et le service, avant le vin.

Au Pied de cochon
536, avenue Duluth Est
Tél.: 281-1114