Un nouveau chef officie dans ces cuisines depuis quelque deux mois. Nous apprenons cela par hasard, à la fin du repas, précisément au moment de lever nos petits verres de digestif offerts par la maison… "parce que c’est fête". Nous trinquons donc à toutes les raisons de fêter, aux "trois ténors" qui célèbrent Noël à pleine voix dans les haut-parleurs, aux trois petits sapins criblés d’ampoules minuscules qui, sur le rebord de la fenêtre, changent progressivement de couleur. Nous trinquons également au trio – une femme et deux hommes – qui nous a fait une visite impromptue et chanté La Guignolée à notre table. "Et aux Rois mages, vu qu’on est bien partis sur le trois!" conclut mon amie, pressée d’avaler cette petite boisson froide qui réchauffe tant. Mon regard doit être aussi flou que le sien, vaguement nostalgique de nos dernières assiettes – "emportées sans retour", comme dit la chanson.
Leurs parfums nous semblent encore bien présents. "C’était une bonne idée, hein?" Excellente! J’en dis autant de tout ce que nous avons mangé. J’avais de toute façon bien commencé par un croquant de pétoncles au vinaigre de framboise. Sceptique, malgré la belle disposition des mollusques et des fruits sur une grande corolle de filo, j’avais un peu hésité avant d’attaquer. La première bouchée avait appelé toutes les autres, jusqu’au dernier vestige de pâte imbibée de sauce qui résistait, se collait à l’assiette pour me narguer. Et mon amie riait tout bas en croquant sa salade au roquefort. "Très bon!" avons-nous déclaré en choeur au serveur soucieux de nos commentaires. "Et nous sommes fin prêts pour la suite", ai-je ajouté à l’intention de ma compagne.
Elle rit encore, grisée de vin (notre bouteille de Botero se vide à vue d’oeil), grisée aussi de tous les parfums qui nous ont accueillis et qui nous tiendront compagnie jusqu’à la fin. Ils se ressemblent, sans être jamais les mêmes. Noix de ris de veau au porto, osso buco, cailles grillées, ris de veau bascaiola, escalopes diverses (parmigiana, milanese, etc.), merlu argenté à la relish de betterave, tout cela y est pour quelque chose, sans doute. Derrière moi, des clients discutent à mi-voix de pasta gratinée et d’entrecôte grillée. "Linguine alle Vongole", annonce le serveur en posant l’assiette devant mon amie. Elle s’épanouit. Jamais vu quelqu’un d’aussi branché par les pâtes! Ces pâtes aux palourdes sont, d’après elle, le meilleur test pour les pasta. "Un plat relativement facile, mais que plusieurs ne réussissent pas toujours…" C’est ce qu’elle parvient à glisser entre deux bouchées rapides, chaudes, qu’elle salue d’un long "hmm!" Si je veux goûter? Et comment! Elle disait vrai. Les goûts et les parfums sont d’une belle connivence et, par-dessus tout, les pâtes n’ont pas la raideur qu’on vous inflige souvent sous prétexte de les servir al dente. De mon côté, il y a un petit bonheur d’escalope de veau et poire glacée au brie qui vaut tous les fantasmes. Sur les fines tranches de viande, s’étalent les tranches d’une poire à demi tranchée et flanquée de deux carrés de brie pareils à des raviolis. Tout se joue là. Ou plutôt dans la bouche, quand le sucré et l’amer jouent à cache-cache, se boudent, se trouvent et jubilent. La viande semble alors prendre son pied, et c’est moi qui glousse de plaisir. Une autre rasade de vin.
Et une autre, une autre encore… jusqu’à ce que nous n’en puissions plus – moi, épuisé mais heureux, et mon assiette vidée. Et les digestifs ne sont arrivés que pour prolonger un peu l’extase.
Restaurant La Perla
1274, rue Chanoine-Morel
Sillery (Québec)
Téléphone: (418) 688-6060
Menu du midi: 9,95 à 15,50 $
Table d’hôte: 21,95 à 29,95 $
Souper pour deux (incluant boissons et taxes): 71,37 $
Goût de Folie’s
Fébriles, serveurs et serveuses s’empressent, s’arrêtent ici ou là, repartent, se croisent, s’esquivent, sillonnant l’immense salle grouillante de monde – grand public et membres des médias, auxquels se mêlent des transformistes plutôt nerveux en cette soirée de première. La nouvelle revue musicale s’intitule Chapeau claque et nous promet "une multitude de surprises inoubliables"…
Le rideau se lève avec un léger retard – tout de même providentiel pour la tablée que je forme avec des amis et confrères, puisqu’il nous a laissé le temps de manger malgré la petite confusion survenue dans l’ordre d’arrivée de nos assiettes. Du spectacle, je garde le souvenir de quelques bons numéros, de costumes féeriques, d’imitations convaincantes, ainsi que de maquillages réussis et d’enchaînements qui le seront peut-être aussi après un certain rodage.
Je suis resté un peu sur ma faim – esthétique, bien sûr, mais aussi physiologique, puisque je n’ai pas été personnellement très gâté au souper. Mon amie, assise à ma gauche, s’est retrouvée avec la meilleure entrée de notre table, un délice qui a pour nom "méli-mélo de saumon au beurre de caviar". En face d’elle et en face de moi, deux voix ont fait un quasi-éloge du croustillant d’escargots aux fines herbes. J’ai tenté de passer sous silence mon fondant de foie de canard, mais ils ont voulu goûter. Ils ont alors compris pourquoi j’avais l’air triste. Quant au plat principal, il m’intrigue encore: mon amie a choisi, comme moi, le "coq en porc de porto". Le sien est excellent, le mien trop cuit. Ici un "grenadin de filet de veau sauce poivrade" dont on dit du bien; là un "coeur de mignon à la saveur de mousserons sauvages" qu’on estime, nonobstant quelques réserves; là encore une "rosace de saumon frais vapeur, petits légumes et sauce au beurre blanc" qu’on a l’air d’apprécier. Et puis, quand le rideau s’est levé, un peu plus tard, je n’ai pas eu à faire un gros effort pour me désintéresser de ma "crème brûlée à la douceur d’érable".
Cabaret Les Folie’s de Paris
252, rue Saint-Joseph Est
Québec (Québec)
Téléphone: (418) 523-4777 et 1-800-775-9977
Souper-spectacle: 65 $