Des modèles réduits de voiliers, tout en bois, trônent sur une tablette de verre fixée au mur tendu de tapisserie. Sur d’autres tablettes absolument identiques se pressent des verres et des bouteilles de bière. Le regard dérive immanquablement en direction de ce qui reste d’un arbre de Noël: une structure fragile où s’entremêlent une guirlande de petites lumières et un interminable chapelet de perles. Pour finir, des tables et des chaises, puisqu’il le faut, et un mur de fausses portes carrelées de verre. Bien tenu et vivement éclairé, cet établissement ne paie pourtant pas de mine. Mais, malgré ses allures de snack-bar, ce restaurant est le seul de la région à proposer une authentique cuisine des Îles-de-la-Madeleine. Dès lors, nous ne nous laissons certainement pas distraire par les sous-marins, burgers et fondues (chinoise ou bourguignonne) qui tentent de donner le change sur la carte. Ce soir, tout plaide en faveur des fruits de mer, à commencer par les odeurs qui se sont précipitées à notre rencontre et nous tiennent encore compagnie, là, en bordure de la grande baie vitrée qui donne vue sur la côte du Passage. Nous avons levé nos verres de Borrico (Cabernet Sauvignon chilien) à leur santé. Autour de nous, que d’assiettes nous font envie! Il y a celle du homard sauté au beurre, choisie par deux Madelinots qui parlent d’air marin et de projets terriens. Il y a celles, tout aussi odorantes, qu’on a servies à un couple installé derrière moi. Puis la carte et son cocktail de crevettes, son riz madelinot aux fruits de mer, les moules et frites, les brochettes de pétoncles, le saumon fumé, les chaudrées, sans oublier le pot-en-pot (pétoncles et homard en croûte) qu’on se fait "expliquer" deux fois. C’est ce dernier que choisit d’abord mon invitée. Mais elle change bientôt d’idée, subitement inspirée par une nouvelle gorgée de vin. De quoi aura l’air mon "potage aux fruits de mer"? Je n’attends pas longtemps pour le savoir: aussi blanc que le bol qui le contient. Deux taches orangées affleurent: de gros morceaux de homard, évidemment. La soupe crémeuse et brûlante renferme également des pétoncles et des pommes de terre et, une fois stimulée par une pincée de sel, montre de quoi elle est capable: se laisser manger avec plaisir et colmater les brèches les plus alarmantes d’une faim qui trépigne d’impatience. Bon, c’est fait. La suite, pour moi, se déploie dans un tout autre registre: une crêpe qui se fait discrète, ce dont je lui sais gré, et une sauce goûteuse, plutôt douce, nappant des crevettes (petites), des pétoncles de belle venue et une abondance de homard. Il y a dedans quelque chose qui vous fait manger vite, trop vite, au point de déclarer forfait tout aussi vite. Mon invitée vient à la rescousse, délaissant pour un moment sa cocotte de fruits de mer – crabe, homard, crevettes et pétoncles dans une épaisse sauce blanche, parcimonieusement assaisonnée. Au-dessus de tout cela se dresse une coquille de vol-au-vent. Nous avons l’un et l’autre, à côté, une petite salade de laitue accompagnée de frites épaisses et larges. Après cela, le plus léger dessert nous semblerait de trop. Quant aux cafés, ils attendront un peu.
Café La Sabline
128, côte du Passage
Lévis (Québec)
Téléphone: (418) 833-4808
Menu du midi à partir de 8,95 $
Table d’hôte: 15,95 à 26,95 $
Souper pour deux (incluant taxes et boissons): 59,92 $
Fables et gourmandise
Chef du restaurant Mon manège à toi, Yannick Ouellet agit aussi à titre de véritable ambassadeur de la Gaspésie à Québec. Au fil des ans, sa carte nous avait habitués à certaines spécialités de son coin de pays, tels le foie gras de la mer, le caviar Émerance, le bleu de l’Abbaye et la saucisse de loup-marin. Puis le moment lui a semblé venu de rassembler ses recettes et de les offrir en hommage aux producteurs qui l’ont toujours inspiré. Ainsi ont vu le jour Les Carnets gourmands d’un Gaspésien. "Du semis au sarclage, du renchaussage à la cueillette et finalement de la livraison à mes casseroles, plus d’une douzaine de personnes auront trimé dur pour me fournir ce magnifique poireau", peut-on lire dans l’introduction. L’originalité de ce petit ouvrage tient au fait qu’il est… double – et doublement appétissant, malgré quelques petites fautes d’inattention: un recueil de 50 fiches-recettes et, sous forme de brochure, un florilège de courtes fables qui sont autant de clins d’oeil, d’allusions et de cabrioles teintés d’humour et de poésie: "La boucane et le vent", "De la rose à l’églantier", "La jardinière et l’écriteau", etc. Pourquoi, par exemple, une fable sur l’oeuf? "Parce que, explique l’auteur, l’oeuf est à la base de tous les grands plats et qu’il m’est difficile d’affirmer qui est arrivé le premier: l’oeuf ou le chef?" Mais la plupart des fables sont dédiées aux producteurs, dont on retrouvera aussi les noms dans les fiches-recettes, du saumon fumé des Frères Atkins à la terrine de la Seigneurie de l’émeu, en passant par les pépites de La Maison de l’érable, la Choucroute Tapp, etc. Il y a vraiment de quoi faire le tour complet de la Gaspésie sans vous lever de table.
Les Carnets gourmands d’un Gaspésien
de Yannick Ouellet
Les Effluves gaspésiens
2001, 90 pages