Si ce qui brille n’est pas toujours fait d’or, le contraire est également vrai. Entrer dans un lieu "classe" ne garantit pas qu’on y mange bien, vous le savez. Et puis derrière les façades décrépies et glauques de certains endroits, se cachent souvent des trésors de sincérité. On trouve même des petits phénix dans des quartiers où l’on ne croise que des cantines de quartier. Vu de loin, Congo-Léo, un resto africain, ne paie pas de mine, mais une fois passé la porte, on se doute bien qu’il y a plus de la coupe aux lèvres.
Cependant, ce n’est ni le décor ni l’ambiance qui nous l’apprend. Autour des tables couvertes de tissus pétant de couleurs et décorées avec ce qui est tombé sous la main – quelques masques, des posters – on peut difficilement parler de décor. Qui pourrait être celui d’une taverne à la rigueur. Mais parfois il s’agit d’une conversation, d’une attitude ou d’un plat pour oublier les cyclones, les embrouilles, l’impôt et la guerre civile. Ici le temps passe doucement. Le truc? Il y a le patron, un grand Congolais, savant et polyglotte, qui nous fait la leçon d’histoire. Et il y a une façon toute spéciale et toute féminine, comme au pays, de faire les petits ragoûts africains aux parfums d’arachides ou de citron, de préparer la banane plantain, ou de faire frire les poissons.
Sans jouer la carte totalement roots, on fait ici le tour du continent en une dizaine de plats phares dont l’interprétation est un peu plus raffinée et soignée que la cuisine ménagère qu’on retrouverait dans une gargote de Dakar ou de Yaoundé. Les sauces nappent délicatement les viandes et les volailles, les entrées se présentent sur des feuilles de laitue, les fritures sont égouttées, et donnent généralement une meilleure idée de cette cuisine simple, surtout basée sur le concept du "bol alimentaire" dans lequel on retrouve une viande, un légume ou deux et une céréale. Et que l’on mange en famille, sans ustensiles et sans napkin! Du reste, les préparations des cuisines africaines sont à peu de chose près les mêmes sur tout le continent: des mélanges souvent pilés ou réduits en pâte. L’intérêt vient de l’assaisonnement, souvent mordant.
Cela ne gâche pas leur côté très exotique et follement déconcertant, au contraire. Prenons la salade qui se compose de tomate et de concombre mais auquel on ajoute de la noix de coco. Ou encore le sogo typiquement congolais, des bâtonnets de manioc de texture un peu élastique (ce tubercule, d’origine américaine, est la principale source alimentaire en Afrique noire) cuits et mêlés à une vinaigrette délicieuse. Ou mieux, les pastele, un genre de beignet frit et farci de viande et d’un peu d’épices qui n’est pas sans rappeler le goût de notre tourtière. Ces bouchées sortent de l’ordinaire, mais sortent aussi des cuisines, faites à la minute, un gage de fraîcheur. En plat, on trouve le même souci. Le Thiep (en réalité le thieppou dienne, mets national sénégalais) est un riz au poisson, une sorte de paella africaine tout simplement. Mais quel riz (on adore quand il colle au fond, il paraît qu’on se l’arrache) et quel goût intense de poisson, au milieu duquel on distingue des légumes ici et là. Le poulet yassa est une autre spécialité sénégalaise: le poulet est mariné dans le jus de citrons verts et d’oignons, avant d’être braisé à feu doux. On le sert avec du riz blanc et quelques légumes scrupuleusement apprêtés. Et malgré l’apparence de banalité, la cuisinière en fait une interprétation tout sauf insignifiante. Nous dirions de même pour le Mbogoo congolais, des morceaux de porc mijotés avec des légumes dans une sauce fortement aromatique. On l’accompagne de plantains rôtis, et d’un peu de manioc cuit à l’étouffée (dont la texture pâteuse risque de provoquer le même effet). En dessert, rien que des idées d’ici pour une clientèle qui ne peut se passer de douceurs à la fin du repas, ce qui n’est pas le cas des Africains en général: crème caramel, crème brûlée à la noix de coco – mais traitées avec un excès de parfum. Ce n’est pas plus mal.
N’attendez pas un voyage en première classe, mais une balade à dos d’éléphant dans ce petit repaire sympa. En revanche, la bonne humeur communicative du patron, les préparations savoureuses et authentiques servies au son des mélopées cap-verdiennes ou sénégalaises, un bon choix de vin abordable, et les prix angéliques justifient l’intérêt et l’assiduité des habitués. Et l’enthousiasme, si par hasard on s’arrête ici les week-ends, souvent plein à craquer. Comptez environ 70 $ à trois, taxes et service compris avant le vin.
Congo-Léo
1886, rue Ontario Est
522-1313
Amuse-Gueule :
À surveiller cette semaine au Festival Montréal en Lumière:
La Semaine des Saveurs avec Soeur Angèle, à longueur de journée (comment fait-elle?). Sujets: chocolat, ateliers de chefs, dégustations de toutes sortes. Sur la Grande Place du Complexe Desjardins. Et c’est gratos!
Chris McDonald, un chef torontois exceptionnel (mais oui, ne riez pas!) dont j’ai eu la chance de goûter la cuisine il y a quelques années. Invité au Lutétia du 18 au 22.