Contrastant par sa décoration vitaminée patinée de brun et de noir, de peaux de félins (fausses, précisons-le), jouant sur l’impressionnisme plus que sur l’authentique, Abiata est une heureuse surprise esthétique, rue Saint-Denis. Sobre et élégant (jusque dans les toilettes), évitant le pompier exotique souvent adopté par ses congénères, ce nouveau restaurant éthiopien relooké BCBG ne renie pourtant pas ses racines à la croisée de la route des épices. La cuisine est incontestablement relevée et dépaysante.
Venus d’horizons différents, avec des points de vue tout aussi étranges qu’étrangers, les Éthiopiens ne font pas une cuisine effacée. Ils ne mangent pas non plus de manière conventionnelle puisque tous les plats sont partagés et qu’il n’y a pas d’ustensiles. Ce qui tranche agréablement avec le cadre distingué et un peu formel. Comme c’est la coutume dans cette république, on apporte un à un les plats qu’on dépose à la cuillère sur un grand plateau commun dans lequel les convives doivent tremper l’injera, une galette moite au goût légèrement acide, qui se présente en petits rouleaux et qui contraste bien avec des parfums vigoureux. Bien que la manipulation d’une telle galette ne soit pas simple, on finit par synchroniser la sauce et la viande avec les doigts et, s’il le faut, la main au grand complet. Ce n’est pas très délicat, j’en conviens, et les épices se logent sous les ongles. Mais on vous apporte une serviette humide pour faire disparaître ces bouquets camouflés.
Côté bouffe, tout est frais et bien fait. La base: des légumes et des légumineuses, crus ou cuits, en sauce ou en purée, et des viandes braisées longuement, généralement très épicées mais assez peu pimentées, si bien que lorsqu’on demande qu’on nous fasse les plats "comme là-bas", nous leur trouvons un petit air adapté. Mais cela ne diminue en rien la finesse des préparations. Sur une carte assez courte, on propose plusieurs plats de légumes – ne vous fiez pas aux descriptions qui ne révèlent en rien l’étonnante variété et complexité des préparations -, quelques ragoûts de boeuf, d’agneau, de poulet ou de poisson.
Plutôt que de patauger dans l’indécision, nous demandons conseil et notre serveur s’empresse gentiment de nous composer un menu fait de toutes petites choses végétales et carnées, colorées et amusantes mais absolument succulentes. Des lentilles entières, mêlées à des poivrons verts et des oignons crus, dans une sauce acide et un peu aqueuse. Puis le yeshiro wat, un autre plat de lentilles mais cette fois en poudre, frit dans l’huile et les épices, un étrange et séduisant mélange avec de fortes notes de gingembre et de moutarde. On apporte aussi des pommes de terre cuites avec du chou et des épices, le doro wat, un ragoût de poulet amplement braisé et servi avec un oeuf dur, un autre de boeuf de couleur rouge brique et d’un goût sobrement aigre et un troisième, d’agneau, cuit dans une sauce aux piments forts, tout se confondant joyeusement dans l’assiette après un moment. Oubliez desserts (tout à fait occidentaux) si vous êtes rassasié. Et vous le serez à peu de frais pour une quarantaine de dollars à deux, taxes et service compris avant la bière, seule option potable pour accompagner cette cuisine de forte personnalité.
Abiata
3435, rue Saint-Denis
281-0111
Sébastien Buecher, chef à l’Auberge Frankenbourg, à La Vancelle
On ne dira pas de la cuisine du jeune Sébastien Buecher (il n’a que 25 ans) qu’elle est une cuisine à risque ou qu’il est un précurseur. Mais fort de deux macarons Michelin, on a là une cuisine au style épuré, presque rustique, un tout petit rien provocateur. Or, si les présentations sont appétissantes et sobres (une belle noix de Saint-Jacques servie sur un risotto crémeux et coiffée d’un craquelin de parmesan, ou un filet d’agneau et un ris de veau, en croûte fine, accompagnés d’une choucroute crue), elles montrent du relief tant dans la texture, la couleur et les composantes qu’une certaine harmonie qui égalise. En ce sens, Buecher fait preuve de classicisme. Et à l’instar de l’architecture, il impose une ossature à sa cuisine, un équilibre et déjà une certaine sagesse. Ce n’est pas toujours drôle d’être sage en ce métier, mais chez l’Alsacien, cette prudence révèle plutôt une envie d’interpréter avec juste un peu de liberté une partition qu’il connaît par coeur. Si jeune. En tout cas, profitez-en pour découvrir cette très jolie carte dans l’ambiance très lounge ou très speed (selon l’heure) de Chez Alexandre. Environ 75 $ par personne, tout compris, avant le vin.
Sébastien Buecher invité Chez Alexandre.
1454, rue Peel
288-5105