Ce Festival Montréal en Lumière était une occasion en or. Un festival dont les principales activités ne coûtaient pas cher, considérant ce que l’on pouvait y découvrir. Je parle surtout des grands chefs français, italiens et australiens qui sont venus ici nous donner des exemples de leur savoir-faire. En cela, nous pouvons nous féliciter d’avoir en cette ville de remarquables gestionnaires (à tout le moins, les gestionnaires de festivals). En effet, pour réunir autant d’activités et coordonner les restos, les invités de prestige et même les écoles de cuisine, il faut un sacré talent d’organisateur. On voyait les gens faire la queue des lundis et mardis soir, remplir des restos habituellement tranquilles; bref, il régnait une véritable atmosphère de fête. On avait envie de manger (quelle belle envie!) et l’on discutait longuement des plats.
Des thèmes fréquents cette année: truffe, foie gras, caviar, on s’y attendait; mais pas la morue fraîche, ni le caramel "au beurre salé", présent dans plusieurs desserts (et qui annonce très certainement une autre mode). Et surtout, l’association du foie gras et du poisson, une combinaison intellectuellement un peu rébarbative mais étonnante au goût. On voyait aussi de plus en plus des plats "taquinés" d’épices, diraient les Français, dont la présence de réglisse en bâton dans quelques sauces et jus; et, dans un cas en particulier (Wakuda), une approche tout à fait nouvelle de la cuisson des poissons, à feu extrêmement lent pour "ne cuire que les protéines de la chair".
Voici mes étoiles du Festival Montréal en Lumière, édition 2002.
Tetsuya Wakuda (invité chez Toqué!)
C’était l’une des vedettes cette année et c’est aussi l’une des plus grandes surprises. Car ce chef japonais, installé en Australie depuis presque 20 ans, réussit par son charisme à communiquer son goût des produits dans une cuisine pointilliste, faite de miniatures; une succession de 16 plats, qui vous chambardent l’idée que vous vous faites du rythme, de l’ordre et de l’éthique d’un repas au restaurant. Excitant. Surprenant. Complètement anticonformiste. Sa pensée est fertile, sa technique, remarquable et son goût du rassemblement s’impose instantanément. Si c’est la direction que prend la cuisine australienne, nous en entendrons bientôt reparler: pétoncles crus, avec du foie gras à peine coloré, et un jus au goût citrique et saisissant; ou, mieux, une mousse de homard avec des algues et du wasabi en gelée.
Jean-Michel Lorrain
On peut dire assez prudemment qu’il s’agit de l’un des meilleurs chefs français du moment, dont le menu dégustation de quatre services était proposé au Beaver Club du Reine-Elizabeth pour 70 $. Normalement, dans son restaurant de Joigny en Bourgogne, ce prix ne vous procurerait que le plat principal, et encore. Du classicisme, il a gardé le goût des beaux produits, le sens des cuissons et le respect des mariages simples. Mais dans un esprit moderne de limpidité, il nous sert des spécialités raffinées, incroyablement distinguées, travaillées comme un contrepoint d’horloger, qui font basculer les plats traditionnels du côté de l’inédit. Entre autres, une crème mousseuse (littéralement) de champignons sauvages, à la chair de grenouille et au foie gras en petits morceaux; ou une crème de petits pois au lard et aux topinambours truffés sur une côte de veau poêlée avec sauce au café.
Éric Fréchon
Éric Fréchon ne nous a pas déçus avec ce repas au Ritz, le seul palace montréalais qui convienne pour ce jeune chef qui dirige maintenant les cuisines du Bristol, l’un des grands hôtels historiques de France. Quoi dire sur cette manière toute personnelle de traiter les produits? Et surtout, comment réagir devant cette cuisine tonique et pleine d’esprit (et d’un certain sens de l’humour): une entrée de homard – canadien – servi dans un gaspacho (plat normalement estival) et qui reposait sur une simple purée d’avocat fraîchement écrasé à la fourchette? Je dirais avec stupéfaction, surtout que, pour un Normand, on ne trouvait presque aucune trace de beurre ni de crème dans les sauces, longuement réduites ou faites à la toute dernière minute d’ingrédients frais et souvent presque crus.
David Van Laer
Reçu au Nuances, le resto du Casino, ce restaurateur parisien a joué la carte de la provoc. Et il affirme se retenir! Parfois maligne et gentiment dans l’air du temps, sa cuisine sort des sentiers battus avec des plats qui fouettent les sens et mêlent les cartes: fricassée de homard et de… pieds de cochon aux lentilles! Ou encore filet de veau rôti au café, bar rôti au thé fumé, tartelettes d’endives confites.