L’Inde s’insinue lentement dans le quartier – autrefois bien grec – de Parc-Extension. Un quartier où se côtoient les peintres en bâtiments portugais, les femmes de ménage antillaises, les jeunes couples francos et les commerçants africains. Les soirs d’été torrides, on entend aussi bien le fado que le rap sur ces artères animées dont les maisons, emprisonnées entre la rue Jean-Talon et la Métropolitaine, offrent des vues imprenables sur d’inquiétantes manufactures. Mais le visage de Parc-Extension change. Et les Indiens – toutes régions confondues – font partie de ce changement.
Le Punjab Palace fait partie de cette dernière génération: un troquet spacieux, décoré simplement mais avec une certaine conscience de l’aménagement, habituellement limité dans ce genre d’endroits ornés le plus souvent de lumières de Noël sur des murs couleur framboise écrasée. Des restos qui ne nous transportent pas en Inde mais dans un salon de bronzage sur Mars.
Le souci porté au cadre s’estompe un peu dans la cuisine, inégale, qui n’a rien de mémorable et qui semble attirer davantage les gringos que les Indiens. On nous propose un menu classique de cet état frontalier avec le Pakistan, où la cuisine est généralement riche en beurre et en crème; ici, on a l’impression de manger une cuisine pour touristes, édulcorée et un peu ennuyeuse. Ce qui nous dit qu’il y a autant de manières de faire un curry qu’il y a de cuisiniers. Et les cuisiniers, comme les hommes, n’ont pas tous été créés égaux.
Le meilleur de l’échantillon s’est présenté en premier: des pakoras d’oignons craquants et dorés, frits à la bonne température et donc assez peu gras, et des samosas absolument succulents et surtout frais, farcis de pommes de terre bien relevées sous une pâte croustillante qu’on prenait un réel plaisir à tremper dans un chutney de tamarin. Le malheur, c’est que le reste donnait l’impression d’être une série de currys à peu près tous semblables, un navratan – censé être un prodige mêlant épices, fruits secs et épices – qui présentait des légumes surcuits dans une sauce vaguement distincte de l’alu gobi – chou-fleur et pommes de terre. Les viandes – un korma de poulet et un curry d’agneau – étaient un peu desséchées malgré la sauce savoureuse dans laquelle elles baignaient. Le plat de lentilles en purée avait un goût de réchauffé et de poudre de curry. Autrement, le riz et les pains habituels étaient d’honnête facture, même s’il n’y a rien de remarquable pour un cuisinier indien à produire les céréales de tous les jours. C’est une cuisine de palace, ça? Nous comprenons qu’avec les prix pratiqués (pas bien cher), on ne moud pas les épices à la main comme on le fait dans les meilleures maisons et on ne prépare pas les currys à la minute. Par conséquent, ce palace-là sert plutôt une cuisine standardisée: tout est assemblé à partir de produits déjà confectionnés dans le commerce. N’espérez donc pas faire ici de grandes découvertes. Quant au service, vous attendrez. Pour tout: les plats, l’eau, le pain, l’addition. Comptez 40 $ à trois, avec les taxes et le service (sic!).
Punjab Palace
920, rue Jean-Talon Ouest
495-4075
Amuse-gueule
Si vous avez la télé numérique, jetez donc un oeil du côté du Food Network, une chaîne qui se spécialise en émissions de cuisine, 24 heures sur 24. Les stars de cette chaîne font de la télé-cuisine d’un tout nouveau genre, qui relègue nos animateurs locaux au rang de dinosaures. Nigella Lawson, une coquette Britannique dont la cuisine est orientée "world", pousse des petits cris jouissifs en léchant ses cuillères. Jamie Oliver est un jeune Londonien enthousiaste et sexy, qui zozote à toute vitesse et propose une cuisine vaguement méditerranéenne faite en deux temps, trois mouvements. Emeril Lagasse cuisine en direct, accompagné d’un band à la manière d’un Letterman en tablier. Mario Batali cuisine italien devant ses chums en portant une jupe. Quant à Bob Blumer, animateur d’un show baptisé The Surreal Gourmet, il fait cuire du saumon dans un lave-vaisselle ou des bananes sur un hibiscus, et construit son menu devant une roulotte en alu, années 50, sur laquelle trônent deux toasts gigantesques. Pas banal. Apprend-on à faire les sauces dans ces shows? Pas vraiment. Pas le temps. La caméra nerveuse, à l’épaule, et la musique rythmée nous empêchent de nous concentrer sur l’essentiel. Mais ces shows sont tout à fait divertissants: des émissions de variétés déguisées en leçons de cuisine. Mais, au fond, qui s’en soucie si l’on s’amuse!