Dans un décor dont le thème n’évoque pas le bord de la Méditerranée, mais un loft new-yorkais un brin japonisant qui aurait gardé visibles tous les conduits de ventilation, les patrons d’une ancienne chaîne de souvlakis ont ouvert ce très bel ouzeri baptisé Mykonos. Un ouzeri, c’est une sorte de bistro où l’on consomme habituellement de l’ouzo, un tord-boyaux anisé qui donne de fortes migraines si consommé sans modération, et qui élève le Ricard au rang de Dom Pérignon. Mais c’est le tord-boyaux national, celui d’un pays de soleil, d’hommes discutant politique avant que tout ne finisse par des verres jetés dans la cheminée. Bref, c’est un joyeux apéro.
Nous sommes reçus avec de grands sourires coquins et tout plein d’attentions par un jeune homme de bleu vêtu (c’est la Grèce, allez!) qui nous présente une carte faite des classiques grecs habituels – grillades de viande et de poisson, salades, et des dizaines de mezze, ces petits plats que l’on consomme en guise de hors-d’oeuvre. Les mezze abondent dans une assiette pour deux, composée d’entrées chaudes et froides. C’est peut-être un peu folklorique comme ça mais c’est tellement satisfaisant, une cuisine réellement spontanée: de sveltes tranches d’aubergine et de courgette farinées et passées en grande friture, des morceaux de pieuvre cramés dehors, fondants dedans, des calmars frits avec grand soin, de la saucisse un peu cuite mais goûteuse, des feuilles de vigne au goût herbacé, des feuilletés fourrés aux épinards et au fromage; puis des purées, de patates et d’ail, de haricots, de feta et de poivrons rouges: tout est excellent et composé de produits bien frais. C’est le principal intérêt de ce resto, du reste.
Le poisson du jour (selon l’arrivage et le poids, et facturé 34 $ ce soir-là, suffisant pour deux personnes), ce sera du bar, du vivaneau ou du saint-pierre). On nous propose la dorade royale (ce qui m’émeut, c’est un poisson à la chair très fine et délicate), qui mérite un traitement tout aussi royal, soit le traitement le plus simple, le plus zen, le plus dépouillé du monde: la braise, un peu de sel marin et basta! Et voilà notre oiseau de bleu vêtu qui s’affaire à nous charcuter le poisson bien frais à même le plat, qui lui traverse la tête à grands coups de fourchette et, tant bien que mal, nous le fait glisser dans un sillon de cendres dans l’assiette. Tout sourire. Il eût mieux valu le faire soi-même. La dorade royale est grillée sans sel, malheureusement. La chair est fondante et tout à fait succulente mais un peu fade. Comme c’est la coutume chez les Grecs, on vous sert le poisson avec beaucoup de citron; vous êtes donc censé le noyer dans une mer de jus, ce qui a pour effet de métamorphoser ce poisson à la chair délicate en jardin parfumé des Hespérides et d’anesthésier toute finesse. N’en faites rien, nappez-le plutôt d’une très bonne huile d’olive – dont une bouteille trône sur chaque table, bonne idée – et d’une ou deux gouttes de jus seulement.
Avant que l’on ait eu le temps de débattre de la grande controverse sur l’origine du baklava, on nous apporte – joie d’enfance – une assiette pleine de loukoumades, brûlants, frais, et irrésistibles. Ces fritures d’une pâte un peu levée sont souvent les derniers et les plus tenaces souvenirs d’un séjour en Grèce. Dégoulinantes d’un miel cuivré de qualité et saupoudrées de noix et d’un peu de cannelle, elles trouvent presque automatiquement le chemin de notre bouche. Miam!
Chez Mykonos, le spectaculaire du décor et la cuisine sortie des tripes des grands-mères font bon ménage, surtout que l’interprétation qu’on en donne aspire à la légèreté. La cave est cosmopolite et facturée un peu chèrement, et le service est légèrement narquois, affichant sa superbe à la limite de l’arrogance. On s’y attend dans ce genre d’endroit. Mais il se montre efficace et, somme toute, plutôt galant. Comptez environ 85 $ à deux, avec les taxes et le service, mais avant le vin.
DIÈSE: l’élégante simplicité et la sobriété – dans le décor et dans les prix.
BÉMOL: l’usage cliché de l’huile d’olive mêlée à du vinaigre balsamique pour tremper son pain avant le repas. Désuet. Et les fautes d’orthographe sur le menu: vous connaissez la "diffusion d’oeufs de poisson", vous?
Mykonos
1201, avenue Van Horne
270-2966
Amuse-gueule:
Une bonne nouvelle pour le splendide restaurant Les Remparts (93, rue de la Commune Est) et son chef Janick Bouchard: pour la seconde année consécutive, ils ont remporté le prix Ulysse, catégorie gastronomie, remis dans le cadre des Grands Prix du tourisme québécois, région de Montréal.