Restos / Bars

Rumi-ménage exalté : Rumi

Rumi est un poète mystique perse ayant vécu au XIIIe siècle, et c’est son nom qu’on a choisi de donner à ce petit café de quartier, installé sur une rue tranquille d’Outremont. Bizarrement, devant un autre café, célèbre et bien classique  celui-là.

Rumi, c’est aussi le poète qui s’inspira des doctrines du soufisme, un culte né de l’islam mais qui a puisé à la fois dans la chrétienté et dans l’hindouisme ses préceptes extatiques. D’ailleurs, il y a dans ce café un petit air spirituel qui nous rapproche un peu plus les uns des autres. Décoré avec les intentions "branchouilles" des anciens patrons, parachevé d’étoffes diaphanes, de tapis, d’affiches vaguement allégoriques, l’endroit a pris des allures de rendez-vous baba cool au retour des Indes. Mais ce Rumi a une histoire singulière. Installé dans un lieu qui a ouvert puis fermé dans le temps de le dire, les anciens patrons ayant (malheureusement) décidé de faire dans le style de tout le voisinage sans en posséder ni la foi ni la mission, l’établissement a donc fait plouf! Il fut repris par une équipe de jeunes Montréalais qui ont décidé de monter une affaire vraiment urbaine, cosmopolite, de style village global (mais avec les goûts de la Méditerranée qui prédominent), sans but vraiment précis, avec un menu déclamé et inspiré du moment. Ça a pogné. Ça a attiré tous les jeunes intellos du coin, les mystiques, les poètes et les gourmands qui ont reconnu dans le talent (bien réel) des cuisiniers une sincérité rare dans ce genre d’endroit. Résultat: on exulte. On a imprimé un menu intelligent qui propose des plats minute faits de produits frais au goût d’épices, d’herbes fraîches, de citron, d’huile d’olive, et qui fait une place de choix aux poissons et à l’agneau. Bref, une idée vachement bonne. Et de plus, le service sourit. Il sourit en servant, à l’accueil, il est humain et plaisant.

Nous choisissons des soupes en entrée, quelques mezze libanais ou grecs, des sandwichs lors d’une visite le midi et des grillades le soir venu. Comme ça, on goûte à tout (ou presque) et l’on se fait notre petite idée. Les soupes d’abord: exquises, rien de moins. La harira marocaine n’est pas à proprement parler absolument authentique, mais elle en a le goût, les parfums exotiques, sensuels, les composantes roboratives – pois chiches, agneau, bouillon précisément assaisonné. Elle disparaît sans laisser de traces. Il en va de même d’un potage consistant aux lentilles rouges cuites avec de la noix de coco, additionné d’épices indiennes, d’huile de citron et de coriandre fraîche. On s’en ferait un repas – on peut. L’entrée baptisée kurdi, une tartinade de poivron rouge rôti, de fromage feta, de noix et de romarin, est onctueuse et exquise, les carottes rôties au miel à la tunisienne aussi, les haricots mijotés comme en Andalousie tout autant. Est-ce que ça va s’arrêter? Il semble bien que non puisque les grillades, si elles ne sont pas au panthéon de la technique, sont tout à fait réussies – agneau tendre, poulet mariné goûteux, poisson frais et servi avec une tombée d’oignons caramélisés succulents – et s’accompagnent de pommes de terre rôties, d’épinards braisés et bien relevés, et de riz basmati vapeur, qu’on peut (qu’on devrait) additionner de beurre frais à la manière perse. En finale, rien que des bonnes choses, qui sortent de la cuisine spontanément. Si vous avez de la chance, vous aurez une tarte au citron parfumée ou une croustade d’amandes exhalant des notes bien maghrébines de fleur d’oranger. Sinon, il y a des gâteaux au chocolat et que sais-je d’autre, trop lourds pour une fin de repas, mais irrésistibles selon certains. Pour un festin qui confine au bonheur du corps et de l’esprit, on vous demandera tout au plus 55 $ à deux le soir, taxes et service compris, et beaucoup moins le midi.

Dièse: Un je-ne-sais-quoi de magique, d’attirant dans le lieu. Le culte du goût franc et de la sincérité.

Bémol: Comme tous les endroits soudainement populaires, ce modeste café est envahi chaque soir par une foule bruyante. Paradoxe d’un lieu inspiré par l’effort spirituel des patrons. Mais c’est la rançon de la bonne intention.

Rumi
5198, rue Hutchison
Tél.: 490-1999

Amuse-gueule
Dans le dernier numéro du National Geographic anglais (mai 2002), une cinquantaine de pages sur l’un des sujets les plus percutants du moment: l’industrie de la nourriture (hem!). Toutes les interrogations politiques et économiques sont traitées: les risques de contamination de nos réserves alimentaires, et les périls ou les bénéfices des avancées technologiques en matière alimentaire liées à l’industrialisation. Un dossier remarquablement mis en pages et d’une efficacité redoutable. La version française devrait suivre dans quelques mois.