Restos / Bars

Anise : Cuisine vamp

Que demande-t-on à un grand cuisinier? Une chose primordiale, la régularité. Et quelques moyens, surtout s’il a beaucoup de talent. Quelque chose comme savoir faire plus que les autres, ou moins que les autres. Plus dans un style de cuisine travaillée, moins dans la simplicité. N’évalue-t-on pas le talent d’un grand par sa façon de faire un poulet grillé ou une omelette?

Que demande-t-on à un grand cuisinier? Une chose primordiale, la régularité. Et quelques moyens, surtout s’il a beaucoup de talent. Quelque chose comme savoir faire plus que les autres, ou moins que les autres. Plus dans un style de cuisine travaillée, moins dans la simplicité. N’évalue-t-on pas le talent d’un grand par sa façon de faire un poulet grillé ou une omelette?

Pas de problème pour croiser ce genre de talent chez Anise. Ce magnifique restaurant de l’avenue Laurier, magnifique car l’ambiance y est soignée, exquise en certains moments précis; magnifique aussi dans ce décor contemporain sans cabotinage avec un éclairage savant et discret, des étoffes aux couleurs douces (sauf celles des sofas, d’un rouge violent, mais qui ouvre presque l’appétit). C’est la signature de Jean-Pierre Viau, encore une fois, avec ses courbes, ses volumes aériens, et une sorte de dépouillé sensuel évoquant un boudoir japonais. Comme c’est beau.

Sans instruction formelle, la chef de cuisine Racha Bassoul, bien que d’origine libanaise, se permet des privautés avec la tradition gastronomique occidentale sans jamais pousser trop loin le bouton. Ainsi, on a droit à pas mal d’épices et d’herbes fraîches en souvenir d’expériences lointaines, mais coordonnées avec une spontanéité et une connaissance remarquable des parfums.

Toute la cuisine semble avoir été pensée en fonction de l’harmonie, tant dans les saveurs que dans les textures. Qui à leur tour vont influencer la manière dont la langue percevra les fumets. Souvent subtils. Madame Bassoul semble avoir d’ailleurs une prédilection pour les textures très fines, minutieusement détaillées. Et chez elle, l’Orient n’est jamais bien loin: un peu de cumin rôti, d’eau de fleur d’oranger et de rose, beaucoup de persil et de coriandre surtout, une façon de griller les aliments, d’entremêler les compositions, de présenter en contrepoint la charpente d’un plat. Pour faire attendre, la maison offre une mise en bouche faite d’une miniature gracieuse et croustillante de pétoncles hachés, mêlés à des noix et des épices, servie sur un noeud de nouilles de riz et arrosée d’un trait de jus de citron.

Devant le tartare de viande de chèvre – crue bien sûr – malaxée à du blé concassé, à un peu de cumin, de citron, de coriandre, déposé en pelote sur une grande assiette, presque vide, avec un trait d’huile d’olive, une zébrure de mayo, quelques pousses de moutarde ou de jeunes lentilles, on pense à ces plats de cuisine fusion qui nous ont été infligés, il y a quelques années. Mais à cette différence que tout a un sens, tout est lié, tout écume de saveurs. Les crevettes grillées reposent à l’aise sur un lit de vermicelles à peine caressés de curry; on les a saupoudrées de dés de mangue, assaisonnés au citron vert. Simple comme tout, il fallait y penser, et d’un effet formidable. En plat, les pétoncles – beaucoup de gros pétoncles, laiteux, juteux, à la chair fondante et nerveuse – ont été marinés dans un jus d’agrume et de gingembre, combinaison dorénavant classique, et sont accompagnés d’une jolie pyramide de risotto, parfaitement cuit dans l’encre de calmars. Là, il se passe quelque chose, enfin! Les cailles (désossées, ne craignez rien), poêlées avec maîtrise, assaisonnées auparavant d’un mélange très éthéré d’épices, du cumin certainement, peut-être d’un peu de menthe sèche, sont coiffées d’une tranche épaisse de foie gras poêlé (joie!) et caramélisé (péché!), et sont posées sur un condiment fait de raisins secs marinés au porto. De petites choses vertes, des herbages, des tranches de radis à peine sautés au beurre, une écorce de panais, une tranche de carottes, frite, des surprises aussi nombreuses qu’imprévues. Ça ne lâche pas au dessert: une motte de pistaches hachées et parfumées, espèce baptisée pistachine, servie sur une assiette rectangulaire, avec une glace à l’eau de rose, et une bouchée de gelée à l’abricot taillée en losange. Le café, le pain, le service amical sans obséquiosité, la carte des vins avec des choix au verre – une dizaine – et vous avez là une future grande adresse. Comptez 115 $ pour deux repas, avec les taxes et le service avant le vin.

BÉMOL: Des infusions à 3,50 $ pièce, hum!

DIÈSE: LA chef, frondeuse, et pourtant posée dans des arrangements, je dirais des pétarades de saveurs.

Anise
104, avenue Laurier Ouest
276-2749

Amuse-gueule:
Tant de choses à lire ces jours-ci. Surtout le numéro spécial de Courrier international intitulé Tout le monde à table (10 $), dont les articles extraits de plusieurs magazines et journaux prestigieux traitent de la cuisine de partout, de tous les temps, d’un point de vue ethnographique, avec des textes d’humeur mais aussi d’information. Un must.